André Escoffier (Photo H.Martinie)
Article de Jean-Michel Strobino-Membre AICTPL -Publié dans la revue Philao
J’ai fait récemment l’acquisition d’un bel exemplaire (dédicacé par sa fille) du célèbre recueil de poèmes d’André ESCOFFIER intitulé Dans le Laos au chant des khènes (Hanoi, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1942). Ce fut pour moi un tel plaisir de relire ces petites merveilles d’une grande sensibilité poétique que j’ai souhaité en savoir plus sur leur auteur.
En consultant les archives de PHILAO, je n’ai trouvé aucun article le concernant. Par contre j’ai constaté que notre revue avait déjà rendu hommage à plusieurs reprises à un autre grand écrivain du Laos, Jean AJALBERT, l’auteur de Sao Van Di et de Raffin Su-su, deux romans qui dépeignent avec beaucoup de talent et de justesse les moeurs et l’esprit laotiens (voir n° 75 et hors-série n°2 de 2009).
Aussi j’ai pensé qu’il était juste qu’à son tour ce chantre du Laos et de sa douceur de vivre soit honoré dans PHILAO à travers cette notice biographique que je suis heureux de faire partager à nos lecteurs, même si elle demeure succincte faute de données disponibles.
André ESCOFFIER est né le 20 mai 1886 à Vinsobres, une commune de la Drôme située à 15 km au nord de Vaison-la-Romaine. Il est issu d’une vieille famille locale et son père, ami de Frédéric Mistral, était déjà une personnalité politique et littéraire notablement reconnue dans la région. Elève du collège de Nyons puis du lycée d’Avignon, il part étudier le droit à Paris. Faisant preuve comme son père d’un goût prononcé pour les lettres, il anime durant ses études la revue littéraire La terre latine avec d’autres étudiants méridionaux.
Après avoir obtenu son diplôme d’avocat, il s’inscrit au barreau de Paris. Tout en exerçant sa profession, il ne se détourne pas de son penchant pour l’écriture et collabore au journal La renaissance contemporaine. En 1911 il publie un premier recueil de poèmes intitulé Au jardin du rêve et du souvenir (Paris, Bernard Grasset Editeur, 1911).
Il effectue son service militaire à Lyon avant d’être mobilisé pour la guerre de 14-18 qu’il termine avec la Croix de Guerre.
De retour à la vie civile, il se présente aux élections générales législatives du 16 novembre 1919 où il figure en deuxième position sur la liste radicale constituée par le congrès républicain de Valence. Il est élu député de la Drôme et s’inscrit au groupe radical et radical-socialiste. A l’Assemblée il se fait le défenseur des intérêts moraux et matériels de ses camarades de combat, notamment pour réclamer l’octroi d’un statut aux mutilés de guerre. Il intervient aussi au sujet des indemnités versées à certains agents des P.T.T. ou des retraites du personnel de l’Imprimerie nationale.
Ce mandat national ne l’éloigne pas de ses racines méridionales, ni de la politique locale. Il siège au Conseil général de la Drôme après avoir été élu conseiller général du canton de Saint-Paul-Trois-Châteaux en 1920, à l’occasion d’une élection partielle, puis réélu en 1921 dans ce même canton. En 1924, il devient maire de Vinsobres, sa commune natale.
En mai de la même année il est largement réélu député de la Drôme, sur la liste du bloc des gauches. Durant cette période, ses mandats électifs et ses nombreuses activités politiques l’emploient à temps plein car il est aussi secrétaire puis vice-président du parti radical et membre des commissions des affaires étrangères et de l’enseignement à la Chambre.
Toutes ces responsabilités n’entament pas sa passion pour l’écriture puisqu’il continue à collaborer activement à différents quotidiens dont L’ère nouvelle, Paris-Soir ainsi qu’à plusieurs journaux républicains du sud-est.
En avril 1928, à la suite du rétablissement du scrutin d’arrondissement, il est de nouveau candidat aux élections législatives dans la circonscription de Montélimar-Nyons mais il ne sera pas réélu. Cet échec va le marquer à un tel point qu’il abandonne progressivement ses mandats municipaux et cantonaux, malgré sa réélection facile en tant que maire de Vinsobres en 1929.
Dès lors il ne sollicitera plus les suffrages des électeurs et délaisse la carrière politique. Il reprend à Paris l’exercice de sa profession d’avocat, tout en continuant la production de poèmes et d’œuvres littéraires.
En 1937, il est nommé trésorier-payeur du Laos, puis du Cambodge en 1942. Si l’on ne connait pas exactement ce qui a motivé ce changement de cap dans son parcours professionnel, il est évident que l’expérience indochinoise et plus particulièrement son séjour au Laos l’a profondément marqué.
C’est en 1942 qu’il publie son second recueil de poèmes, Dans le Laos au chant des khènes, véritable déclaration d’amour pour le Laos, ses habitants et sa douceur de vivre. Les poèmes qui y figurent sont regroupés en cinq parties qui suivent à peu près le cheminement tant matériel que spirituel d’André ESCOFFIER tout au long de son séjour en Indochine : L’invitation au voyage, La belle aventure, A travers l’Indochine, Aux bruits du monde et Au chant des khènes. Cette dernière partie, de loin la plus conséquente puisqu’elle compte 41 poèmes sur les 57 que comporte l’ouvrage au total, est toute entière consacrée au Laos. Chaque poème est un petit bijou littéraire, véritable instantané décrivant avec minutie et justesse une scène de la vie quotidienne laotienne, si intemporelle, paisible et attachante.
Pour le Laos
(…)
Je veux, pour le Laos faisant le même geste,
Essayer de le mettre à l’honneur par mon chant,
Et pour avoir subi les coups d’un sort funeste,
Le rendre aux cœurs français plus cher et plus touchant.
Le khène
Il a suffi, dans le Laos, d’un chant de khène
Qui vint vers moi, plaintif et doux,
Coupés dans la forêt prochaine
Il a suffi de dix bambous,
De dix doigts dansant sur dix trous
Et d’une haleine,
Pour que je sente, tout à coup,
Mon cœur se fondre en la douceur laotienne,
Et depuis ma joie et ma peine
Tour à tour, je les rythme et berce au chant des khènes.
Sérénité
Apaisant et doux, le Laos immense
De sérénité me comble et m’emplit,
Je lui garde au cœur la reconnaissance
De m’avoir donné le calme et l’oubli
(…)
Je préfère à tout une chanson douce
Qu’on devine, au loin, plutôt qu’on n’entend,
A l’Européenne au sein qui se tend,
Minaude, sourit, s’enfle et se trémousse,
La simple Phou-sao marchant sur la mousse
Ses petits pieds nus sous le sin flottant ;
Au bruit du jet d’eau, la paix de l’étang,
A l’automobile, une course en pousse,
Au plus rare fruit, l’humble pamplemousse,
Et dans ce pays d’un ciel éclatant,
Au soleil de feu dont l’or éclabousse,
La sérénité, dans la forêt rousse,
De son éternel et tiède printemps.
Le Mékong
Le Mékong est le sang du Laos, c’est l’artère
Qui draine vers le Sud où sont les Océans,
Le bois de ses forêts, l’or de ses monts géants
Et le limon orange et rouge de sa terre.
(…)
Car cet immense fleuve indomptable et sauvage,
Né des torrents fougueux, grossi par l’ouragan
Est un dieu généreux, qui s’en va prodiguant
Les bienfaits de son onde aux maisons du rivage,
Et tout être adorant ce fleuve sans pareil
Qui fait l’orgueil d’un sol et le bonheur d’un monde,
Sans jamais la tarir, boit la vie à cette onde
Dont la fuite éternelle étincelle au soleil.
L’édition originale est enrichie de 13 illustrations en noir et blanc du dessinateur laotien Thit-Phou représentant divers moments et lieux qui rythment la journée au Laos : le marché, la pagode, la rizière, les fêtes, la maison, le bain, le fleuve, la forêt,…
A la suite du coup de force nippon du 9 mars 1945 visant à libérer l’Indochine du joug français, André ESCOFFIER est interné par les Japonais et ne sera rapatrié qu’en août 1946.
Il meurt à Paris le 20 novembre 1949, à l’âge de 63 ans.