Un avant-projet de février 1925 et un projet d’exécution datant d’avril 1929 vont conduire à l’adjudication du 4° lot A du projet à l’entreprise Bourillon de Vinh notifié le 26 novembre 1929 : délai d’achèvement 36 mois. (Nous sommes à l’époque où l’Indochine est sous domination française)
Pour un montant de 663 955 piastres, le 4° lot A consiste à construire des bâtiments, terrasser la plateforme du chemin de fer et exécuter les ouvrages d’art de Thakhek au village de Phavang, seize kilomètres plus loin.
Ce début d’exécution s’inscrit dans un ensemble devant conduire la voie ferrée de Tanap au sud de Vinh sur la future ligne Hanoi – Saïgon, au bord du Mékong puis, à Udon Thani où le chemin de fer du Siam (Thaïlande) est en projet. Les visionnaires de l’époque rêvent déjà de relier par le rail Pékin à Singapour et aussi de raccourcir le trajet Hanoi – Saïgon de 300 kilomètres en passant par la rive gauche du Mékong
plutôt que de contourner la péninsule indochinoise par l’ouest.
Le réseau ferré de l’Indochine en 1949 montre bien le projet
Les travaux avancent donc : construction de sept maisons à Thakhek pour les futurs cadres de l’exploitation, ces maisons sont toujours visibles juste au sud du marché Talat Nabong au bord du Mékong, au nord du centre-ville.
Exécution de la plateforme de la voie, perpendiculaire au fleuve et d’un triangle de retournement à proximité de la future gare qui ne fait pas partie du contrat. La voie remonte en ligne droite jusqu’au triangle du carrefour SENO[1] – et le kilomètre 0+000 de notre route de Gnommalat (la route coloniale 12). A la pointe nord ouest de ce triangle où trône le buste de Kaysone Phomivanh, on peut encore voir la coupure profonde creusée dans les grès noirs pour franchir la barre du phou Khan (pk 3+800) et la voie redescend en remblai vers l’est dans les rizières de la plaine.
La Nam Done était franchie deux fois sur des ponts en béton armé de 45m de long dont un est encore utilisé (pk 8+030) et l’autre démoli (pk 13+905) avec une travée tombée dans la rivière.
La voie franchissait avec la route actuelle le premier défilé à l’est de Thakhek et l’on peut encore voir deux ponceaux de drainage sous le remblai de part et d’autre du défilé.
Le tout s’arrêtait à Phavang où l’on peut encore voir un ponceau au pied du bec rocheux, près de la route.
La construction coté Lao s’est arrêtée là : la crise financière du début des années trente et le début d’insurrections au nord Vietnam a vu les fonds diminués puis détournés vers d’autres priorités… « Les fonds destinés à la partie médiane du chemin de fer de Thanap à Thakhek furent virés pour des travaux d’irrigation à exécuter dans le Nord Annam » le ballast et la voie n’ont probablement jamais été posés.
Pourtant le projet d’exécution d’avril 1929 et le projet simplifié du 12 février 1931 prévoyait la poursuite de la ligne au delà de Phavang sur le tronçon central passant par Mahaxai et sa gare au kilomètre 45+444 ; puis le franchissement de la Nam Phit par un ouvrage juste au nord du confluent avec la Xebanfaï. La voie s’engouffrait alors en rive droite des gorges de la Xebanfaï, remontait la rive droite de la Nam Gnom sur 500 mètres environ avant de la franchir et de repartir plein est.
Il s’agissait ensuite de franchir une étroite péninsule karstique que certains projets prévoyaient par un tunnel de 447 m de long et que d’autres contournaient plus sagement… La voie suivait ensuite à peu près la route 12 pour ne s’en éloigner au kilomètre 98 pour prendre de l’altitude à proximité du col qui fait frontière avec le Vietnam : le col de Mu Gia. La frontière s’appelle maintenant Naphao du nom du village Ban Naphao qui était à proximité.
Du col de Mu Gia (Naphao) – à la frontière entre le Laos et le Vietnam – la voie redescendait le versant vietnamien de la cordillère annamitique qui est beaucoup plus escarpé que le versant laotien. Le tracé était donc plus difficile avec des ouvrages d’art importants et un profil tourmenté.
Les ingénieurs de l’époque avait bien vu le problème et avaient imaginé faciliter la construction et l’acheminement du matériel nécessaire et du personnel par un transporteur à câble. Aussitôt dit, aussitôt fait au titre des prestations en nature des dommages de la première guerre mondiale : l’entreprise allemande Heckel a construit le plus long téléphérique au monde de l’époque – quarante deux kilomètres – de Xom Cuc au Vietnam à Ban Naphao au Laos. Cette même société construisit dix ans plus tard, celui de Bourg Saint Maurice aux Bréviaires pour la construction du barrage de Tignes.
Il ne reste malheureusement presque rien de ce téléphérique. Quelques photos d’époque, des fondations de pylônes et d’ouvrages en béton, et près de Ban Naphao quelques profilés métallique dans les cours et… des clôtures pour le bétail constituées de câbles détoronés !
Il semble qu’au début des années 1980, le Laos ait vendu à la ferraille ce qui avait échappé aux démolitions de la guerre. (ce col était un axe important de la piste Ho Chi Minh)
La notification de ce marché a eu lieu le 15 janvier 1930 et la réception définitive de l’ouvrage le 13 février 1933. Les Grenoblois connaissent bien le transporteur à câble qui alimente l’usine Vicat au bord de l’autoroute A 480 : il s’agissait d’un ouvrage de ce type avec cinq stations intermédiaires et deux stations d’extrémité. Le contrat nous dit : « La charge utile du wagonnet seul sera de 200 kilos. La charge utile de deux wagonnets accouplés pour bois, acier, etc… sera de 400 kilos ; la longueur des pièces transportées pourra atteindre six mètres » « Le système de chemin de fer aérien employé sera du type tricâble, comportant deux câbles porteurs et un câble tracteur » L’ouverture du téléphérique et la création de la taxe de transport aura lieu le 18 décembre 1933. « A titre d’essai, le câble sera mis en marche trois fois par semaine ; il sera en correspondance avec les trains ordinaires côté Annam et avec des camions et autos du côté Laos. Son débit maximum sera de quinze tonnes par jour de mise en marche. L’exploitation du téléphérique ne pourra s’effectuer que pendant la bonne saison au Laos, soit approximativement de Novembre à Avril. Délais de transport : en principe, de Tân-Ap à Thakhek ou inversement : cinq jours. »
Malheureusement à la date de la mise en service du téléphérique, la construction du chemin de fer Tanap – Thakhek est déjà suspendue… puis le journal officiel du 7 octobre 1937 indique : « Le programme de construction de voies a été remanié : la construction de la section médiane de la ligne de Tan-Ap à Thakhek a été différée. »
Pourtant, le téléphérique continue de fonctionner : trafic de 1197 tonnes dans le sens Annam – Laos du 1er novembre 1936 au 30 mars 1937 et seulement 348 tonnes dans l’autre sens.
Le rapport du Colonel F. Bernard sur les voies de communication au Laos en janvier 1936 met de l’huile sur le feu : « … il propose, non point la création de voies nouvelles ou l’achèvement du chemin de fer Tanap – Thakhek aujourd’hui abandonné…il y a lieu de tenir compte des dépenses effectuées pour la construction du chemin de fer Tanap – Thakhek, soit 7 830 000 piastres au total…en fait, le gouvernement Général de l’Indochine a dépensé 7 800 000 piastres, soit près de 80M de francs pour construire 18 km de chemin de fer, dont le prix de revient s’élève ainsi au chiffre extravagant de 4 400 000 francs par kilomètre, et cet incroyable gaspillage n’a donné lieu à aucune enquête, et provoqué aucune sanction. Le chemin de service construit à très grand frais est actuellement impraticable pendant la saison des pluies, et les câbles du téléphérique, bien que leur utilisation ait été à peu près nulle, sont aujourd’hui hors service…en 1934 la voie ferrée Tanap – Xom-Cuc a subi de très graves dégâts qui ont nécessité des travaux de parachèvement importants…la route N̊9 a été commencée en 1895, il a fallu 35 ans pour la terminer; pendant cette longue période elle a été abandonnée, reprise, abandonnée à nouveau plus de 10 fois. La route N̊8 a été commencée en 1903, elle a subi les mêmes alternatives; après 30 ans d’efforts, elle n’est encore praticable pendant toute l’année que sur la moitié à peine de son parcours…le jour ou nous avons détaché d’une façon définitive le Laos du pays voisin (Siam) nous avons souscrit à l’égard des populations qui l’habitent des engagements auxquels, il importe de le dire, nous nous sommes constamment dérobés…les recettes propres du Laos se réduisent à 1,5 piastre par habitant…il est commode d’attribuer la stagnation du Laos à l’insuffisance de ses moyens de communications; elle n’est due en fait qu’a la carence totale de l’administration française. »
Nous avons rencontré à Ban Naphao un vieux monsieur qui se souvenait des « falangs » qui prenaient les bennes et qui, lui aussi, avait fait le trajet. Il nous a montré l’emplacement de la gare terminale dont il ne reste rien car les travaux de la route ont effacé le peu que la guerre avait pu laisser. Environ deux kilomètres avant le poste frontière sur la gauche de la route on devine un mur de béton qui devait appartenir à la station No. 6 de Mu-Gia…
Côté vietnamien, la voie a été construite et mise en service sur 18 kilomètres.
Le dossier d’exécution du 1er lot date du 1er décembre 1928 et c’est l’entreprise Jullien qui se voit attribuer le marché le 31 août 1929, mais M. Rémy Jullien décède en 1931 ce qui conduira à la création d’une caisse d’avance pour le paiement des coolies le 31 août 1931 ; fermée le 11 janvier 1934. La construction rencontre aussi des problèmes : « une crue exceptionnelle en septembre 1930 a causé des dégâts très importants aux remblais de la plaine de Thanh-Lang…des terrassements supplémentaires ont été reconnus nécessaires pour permettre le passage des bennes au-dessus de certains points hauts » (on parle là du téléphérique). La voie sera posée début 1932. Hanoï, le 30 mars 1932 « Les installations de la nouvelle gare de Tan-Ap…origine de la ligne de Tan-Ap – Xom Cuc venant d’être terminées et remises à l’exploitation…cette ouverture facilitera la circulation des trains de ballast du service de la construction ». L’ouverture à l’exploitation de l’embranchement Tanap – Xom Cuc aura lieu le 10 décembre 1933 ; à la même date que le téléphérique.
La halle aux marchandises de Xom-Cuc et la gare de départ de téléphérique en direction de Ban Naphao
Photo prise sous le même angle le 13 janvier 2008, 50 ans après la fin des opérations.
Les ruines du viaduc sur le Khé Ha et la traversée en remblai de la plaine de Than Lang.
De Tanap à Xom-Cuc, sur 18 kilomètres, la voie rejoignait d’abord la rive gauche du Song Giang puis franchissait le Khé Ha sur un viaduc de 57 m avant de traverser la plaine de Than Lang sur un long remblai rectiligne.
Un tunnel de 328 m et au moins deux viaducs complétaient les ouvrages nécessaires pour atteindre la gare de Xom Cuc. Au delà, le projet prévoyait que les rampes commencent au kilomètre 28 ; puis un tunnel de 378 m au pk 48+6 ; le tunnel de faîte au col de Mu-Gia de 430 m au pk 59+1 ; et 9 grands ouvrages (métalliques) répartis le long de la rampe. Les projets successifs de 1924 à 1931 différaient sensiblement sur l’alignement de la voie pour le franchissement de la cordillère annamitique côté vietnamien. Le projet simplifié de 1931 autorisait des pentes plus fortes dans les rampes et des rayons de courbure plus courts, tout cela dans le but évident de réduire les coûts d’infrastructure.
Notre route 12 était autrefois « la route locale n°7 entre Ban Naphao et Thakhek » ; son exploitation permanente est prévue à partir de la fin de 1937. C’est probablement juste avant cette date que les piles du vieux pont sur la Nam Gnom que l’on voit encore en aval du nouveau pont sur la route du Vietnam ont été construites.
Jusqu’à quand ces installations ont-elles fonctionné ? La seconde guerre mondiale est proche, les japonais vont chasser les français presque dix ans plus tard. A la fin de la guerre la branche Tanap – Xom-Cuc n’est pas en service, pas plus que le transindochinois entre Dong Ha et Hanoï. Les français reviendront encore presque dix ans avant que ne débute la guerre dite « du Vietnam » qui effacera la plus grande partie de cette infrastructure sauf ce qui était loin de la zone des conflits…aux environs de Thakhek. A Xom-Cuc, un monsieur nous a dit que les installations avaient fonctionnées jusqu’en 1957 ou 58 et que ce qui restait des infrastructures avaient été démontées dans les années 80.
A gauche, le monsieur de Xom Cuc qui nous a renseigné
Il faut signaler à titre rétrospectif qu’un groupement américain a proposé en 1919 de faire ce chemin de fer – dont on parlait dès 1905 – sans frais pour la colonie : sans doute était-il intéressé par les gisements miniers du Laos. En 1928, un consortium formé par la compagnie du Yunnan, la Banque de l’Indochine, la Compagnie Générale des Colonies, les entreprises Dufour et Grands Travaux de Marseille, ont demandé la concession de la ligne, encore apparemment sans succès.
SOURCES : LE BLOG DE FRANCOIS.FER-AIR
http://fer-air.over-blog.com/