Mémoire de lecture : C’est de Chine que je t’écris… Jules Leurquin

Jules Leurquin, Consul de France dans l’Empire du Milieu au “temps des troubles” (1909-1945) par Boris Martin, Editions du Seuil, 2004

Etonnant périple que celui de Jules Leurquin. Le voyage d’une vie qui commença, en 1909, à la manière d’une aventure au bout du monde et se termina en 1945 presque comme un roman d’espionnage. Boris Martin nous livre le cheminement d’un jeune consul au travers de sa correspondance avec sa mère, ses lettres, ses photographies, des cartes postales et des extraits de rapports diplomatiques.

La Chine, « centre civilisé du monde », et la France, « Phare d’un monde meilleur »… En ce début du XXème siècle, c’est la rencontre de deux imaginaires, de deux prétentions à l’universalisme qui se produit et dont Jules se fait en quelque sorte l’entremetteur. La Chine est à l’orée d’une période pleine de bruit et de fureur que certains historiens ont baptises, à juste titre, le « temps des troubles ». Une période qui verra ce pays, à l’influence jusqu’alors confinée sur la scène internationale et qui, surtout, explique ce qu’est la Chine d’aujourd’hui.

Plongé dans cette page mouvementée de l’histoire chinoise, Jules Leurquin sera le témoin, et parfois l’acteur, privilégié des remous qui vont secouer l’Empire du Milieu, jusqu’à sa mort en 1945. Chose très rare en effet dans la diplomatie, il passera toute sa carrière dans ce pays. Isolé dans son consulat de Tchentou ( Chengdu ), Jules sera seul a gérer les prémices de la révolution de 1911 et l’instauration de la fragile République dans sa juridiction consulaire du Sseutchouan ( Sichuan ). Le pays n’est plus alors qu’un état morcelé, laissé aux appétits des seigneurs de la guerre et des bandits dont l’activité paralyse toute l’économie du pays.

Mobilisé en 1914, Jules vivra la Première Guerre Mondiale dans cette Chine qui pourtant n’échappera pas à ses dommages collatéraux et aura à subir les attaques du Japon voisin. Viendra ensuite une période d’émergence, puis d’opposition entre par le parti nationaliste et le parti communiste, le premier emportant la victoire avant que le second ne l’arrache définitivement en 1949.

Durant ses 36 années passées en Chine, nous retrouverons également notre consul en poste à Hainan, Hankeou ( Hankou ), Tchongking ( Chongqing ), Hong Kong et Shamian. La fin de ces « temps des troubles », Jules ne l’aura pas vu, lui qui meurt dans son consulat de Kharbine ( Harbin ) en février 1945, mais cette accélération de l’histoire chinoise, il l’aura vécue puis retranscrite dans la correspondance diplomatique qu’il adresse à son ministère et dans les lettres qu’il destinera à sa mère.

Sa famille qui a partagé avec lui une grande partie de sa vie chinoise restera cependant en France pour la durée du conflit de 1939-45. Jules mourra seul à son poste de consul, jusqu’à la fin, sans avoir jamais revu les siens. Le corps de Jules jamais ne quitta la Chine pour retrouver la terre de France. Inhumé dans le cimetière de Kharbine, il y reposa pendant que sa famille tentait par tous les moyens de le faire rapatrier.

Jules se révèle un admirable feuilletoniste, de ces auteurs qui puisent à la source du quotidien l’inspiration de leur récit. Il redessine la Chine du siècle dernier, la Chine de tous les jours, celle des grands et des petits, des gouvernants et des gouvernés. A certains moments aux accents d’Albert Londres, Pierre Loti ou du poète Victor Segalen. A parcourir les correspondances de Jules Leurquin, on ressent comme une ivresse à voir se reconstruire sous nos yeux la vie de cet homme qui, un jour de 1909, partait à la rencontre de cette Chine mythique en prise avec les évènements les plus décisifs de son histoire, un homme que l’on accompagnerait volontiers dans un voyage au long cours.

Alors je vous invite à partir avec lui pour un très long voyage, parfois douloureux, mais tellement beau. Le voyage d’une vie. Abondamment illustré, ce livre est une fascinante et délicieuse fresque historique très bien conçue.

Claude R. Jaeck