Lieux de mémoire liés à l’Amiral Courbet et à la Guerre Franco-Chinoise (1884-1885)

De Histoire de Chine

Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

rédigé par Arsène Donada-Vidal

Tombe de l’Amiral Courbet au Cimetière de la Chapelle d’Abbeville

Des rares traces subsistantes du passage de l’armée française à Taïwan, le cimetière français de Keelung et le monument à l’amiral Courbet de Magong (îles Penghu) en sont indubitablement les deux lieux les plus emblématiques. Que sont, en effet, devenus les dépouilles des environ 700 morts français à Taïwan dont, pour à peu près 400 d’entre eux, la grande faucheuse prit la forme de la contagion (en majorité le choléra et la fièvre typhoïde) ?

Le tombeau de l’Amiral Courbet se situe, lui, dans le cimetière de sa ville natale à Abbeville. Restauré en 2008, les travaux ont été financés par le Souvenir Français, la FAMMAC (Fédération des Associations de Marins et de Marins Anciens Combattants) et la municipalité d’Abbeville. Son sabre, quant à lui, a été déposé dans la chapelle « marine » de la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à Paris.

Construction des cimetières pendant la guerre

Les morts de l’Escadre d’Extrême-Orient dirigée l’Amiral Courbet ont été en partie enterrés dans deux cimetières militaires français, situés aujourd'hui à Taiwan : à Keelung, non loin de Taipei, et à Magong (ou Makung), dans les îles Penghu (ou Pescadores). Nous savons que, de par le caractère très brutal et informel de la guerre, de nombreuses dépouilles ne furent en réalité pas enterrées dans ces cimetières, mais, par nécessité, laissées sur les champs de bataille, enterrées à la va-vite, ou jetées à la mer. En l’absence d’études claires, il est difficile de savoir combien de soldats français reposent sous la terre de ces deux lieux chargés de mémoire.

À Keelung la localisation fut un choix par défaut ; avec l’encerclement et le harcèlement ennemi, la petite plage au nord-est de Keelung était le seul lieu propice à l’enterrement des corps. Il fallait éloigner les dépouilles contagieuses des baraquements, mais cela posait un problème de surveillance et les tombes furent régulièrement violées par les habitants (la tête des Français était mise à prix).

Quant à Magong, les circonstances furent plus favorables pour mettre en terre les morts du choléra qui affluaient quotidiennement après la signature de la paix. Et, lorsque l’amiral en personne succomba à la maladie, une stèle fut érigée en son honneur.

La survie des cimetières au XXe siècle

Le cimetière militaire français de Magong avant 1954

En 1897, la France signe avec le Japon un premier accord pour l’entretien du cimetière. Cette première alloue une somme à son entretien. Cet accord fut renouvelé en 1902, 1908 et 1915. Ces traités, conservés aux archives diplomatiques[1], formalisent aussi la première construction qui donnera sa forme au cimetière, avec un muret et de véritables stèles funéraires.

À Magong, le cimetière militaire français a été entretenu jusqu'en 1954. Après un accord conclu avec les autorités de la République de Chine, les corps des soldats, les stèles du cimetière, ainsi que les cendres du lieutenant d’infanterie de marine, Louis Jehenne et Marie Joseph Louis Dert, sous-commissaire de la marine, ont été transférés à bord du Pimodan jusqu'au cimetière de Keelung.

Le cimetière de Magong en 1885 (photograhie prise par André Salles)

À l’ouest de la rade de Magong, au niveau du Mont Shetou, un monument à la mémoire de l’Amiral Courbet est rénové et inauguré le 27 mars 1954. Il a été récemment rénové. Une stèle, « à la mémoire de l’Amiral Courbet et des braves morts pour la France aux Pescadores (1885) » a également été conservée dans la ville même de Magong.

Monument élevé au Mont Shetou en 1954

Pour Keelung, le 14 avril 1947, M. Bayens, Consul Général de France à Shanghai, informe le Ministère des Affaires étrangères que le cimetière se trouve dans « un état complet de délabrement. » En raison du caractère d’urgence de la remise en état, il fait exécuter des travaux pour un montant de 100 USD qui est ensuite remboursé par le Ministère de la Marine. Le terrain est loué à la France pour un dollar symbolique. Avec la fin des relations officielles de la France avec la République de Chine, en 1964, le cimetière était interdit au public.

Stèle « à la mémoire de l’Amiral Courbet et des braves morts pour la France aux Pescadores (1885) »

Assumée jusqu’en 1993 par le Représentant commercial français, la responsabilité de sa gestion a été reprise par le Secrétariat général de l’Institut français, après la réorganisation de celui-ci. Enfin, en 1997, sur décision ministérielle française, la gestion et l’entretien du cimetière reviennent, après accord, à la mairie de Keelung.

Et aujourd’hui ?

Après avoir connu encore les vicissitudes de l’oubli, le cimetière, très mal-en-point, fut vandalisé en 2012 (des tombes furent détruites) et la pierre calcaire très friable utilisée s’effritait aussi sérieusement. La municipalité de Keelung prit conscience dans les années 2000 du caractère exceptionnel de ce lieu. Le cimetière, devenu un lieu ouvert inclus dans un parc de la mémoire, allait commencer une nouvelle vie.

Le cimetière est classé monument historique en février 2001 et un projet de restauration et de mise en valeur du site est élaboré conjointement avec les autorités françaises. Il est achevé en 2021. Une plaque du Souvenir Français y a été apposée le 11 novembre 2016. L’Institut français et le Souvenir Français commémorent les 14-Juillet et 11-Novembre le souvenir de ces soldats morts pour la France. Lors de la Fête des Fantômes, en août, les Taïwanais y viennent d’eux-mêmes apaiser l’âme des damnés de la guerre par des célébrations qui n’ont rien à envier à celles dédiées à feu leurs ancêtres, ennemis d’une époque fort lointaine…

Il n’est pas exagéré de dire que ces deux lieux, qui survécurent aux régimes, aux guerres et à l’urbanisation toujours croissante, sont des miraculés. Leur parcours, fait de hauts et de bas, d’oublis et de rappels – à l’image de cette guerre –, est sans doute aussi important que la raison de leur création, et illustre l’importance des enjeux du patrimoine français à l’étranger.

Notes

  1. Archives diplomatiques de la Courneuve : TRA18970017 : Convention relative à l'entretien et à la réparation des tombes des marins et soldats français à Formose et aux Pescadores, 1897. TRA19080016 : Accord relatif à l'entretien et à la réparation des tombes des marins et des soldats français à Formose et aux Pescadores, 1908. TRA19150010 : Accord par échange de lettres relatif à l'entretien et à l'administration des tombes des soldats et marins français à Kelung et aux Pescadores, 1915.