Emouvante cérémonie du Souvenir Français de Chine en hommage aux Forces françaises libres de Hong Kong
Comme chaque année depuis désormais trois ans, le Souvenir Français de Chine (section de Hong Kong) a organisé une cérémonie en hommage aux Forces françaises libres de Hong Kong, au cimetière militaire de Stanley où se trouve une stèle dédiée à ces Français. Avec l’appui et le soutien du consulat de France, ce moment important prend chaque année un peu plus d’ampleur.
Le consul général de France à Hong Kong, Arnaud Barthélémy, a ouvert la cérémonie par un discours dans lequel, après une remise en place du contexte local de 1941, il a salué le sacrifice des hommes, morts au cours de la défense de la colonie britannique contre les forces japonaises. En effet, au lendemain de Pearl Harbor, c’est également à Hong Kong que se concentrent les attaques nippones. Une trentaine de Français engagés dans le Corps Volontaires de Défense se sont battus pour défendre des positions stratégiques. Six d’entre eux ont péri directement ou des suites de la bataille de Hong Kong; leurs noms est sur le monument de Stanley. Arnaud Barthélémy a insisté sur l’importance du devoir de mémoire en évoquant le bleuet, distribué à tous les participants avant la cérémonie. « Les Anglais ont le coquelicot, le « poppy », dont ils ont su conserver la tradition de manière vigoureuse. Nous avons le bleuet, a rappelé le consul général. Il me tient à cœur de raviver ce symbole français du souvenir, particulièrement cette année, alors que nous entamons les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale. » Et le diplomate de rappeler l’origine du bleuet : « c’est un héritage des tranchées en souvenir des uniformes bleu horizon des jeunes soldats Français qu’on appelait les « bleuets », et cette fleur sauvage est parmi les premières à repousser sur les champs de bataille, après le chaos… C’est un beau symbole, et c’est la raison pour laquelle je m’associe au Souvenir français de Chine pour vous offrir ces bleuets aujourd’hui. »
Parmi les noms sur la stèle, le consul général a tenu à évoquer tout particulièrement le capitaine Rodéric Egal, en remerciant ses deux petites-filles, Marion et Véronique pour leur présence à la cérémonie. Les deux descendantes du capitaine Egal ont fait le déplacement de France spécialement pour cette occasion. Elles ont livré à l’assistance un très beau discours (dont le contenu est intégralement reproduit ci-dessous), à la deuxième personne du singulier. En s’adressant directement à leur grand-père et en retraçant son parcours riche et mouvementé, elles ont su donner à la cérémonie une atmosphère unique.
A son tour, le représentant du Délégué General du Souvenir Français de Chine à Hong Kong, François Drémeaux, a pris la parole en commençant par citer le télégramme du consul, en 1940, qui signe le ralliement de la communauté française de Hong Kong à la France Libre. « Il a fallu bien du courage à cet homme et à tout ceux qui l’entouraient, car rappelons que cette prise de position n’allait pas de soi. Cet engagement n’était pas aussi évident qu’il peut le paraître aujourd’hui. Dans l’entre-deux-guerres, ces hommes ont vécu un contexte politique dur, au cours duquel l’extrême-droite monte en puissance. Les moments de haine sont nombreux, c’est une période de défiance. A cette époque, on ne parle pas de banalisation de l’extrême-droite mais la violence des nationalismes fait partie du paysage politique depuis longtemps, explique le représentant local du Souvenir français. Il faut donc du courage pour défendre la paix, il faut du courage pour se défendre contre une idéologie de l’asservissement. C’est ce courage dont on fait preuve les hommes qui se sont réunis dans le comité France Libre. » Comme chaque année, il a été question des recherches historiques en cours pour retrouver les noms des autres disparus, pour raviver le souvenir de ces Français que la tourmente de l’histoire a balayé. Deux noms ont déjà été exhumés des archives. Le représentant du Souvenir français a rappelé que le rôle de l’association est d’entretenir la mémoire, mais aussi, parfois, d’aider à la reconstituer.
Ensuite, François Drémeaux a présenté les élèves de Première ES-L du lycée français international Victor Segalen de Hong Kong en expliquant la raison de leur présence… Ces étudiants ont monté une chorale dans le but de chanter le chant des partisans. Ils se sont exécutés avec délicatesse et beaucoup de tact, sous la direction de Patrick Lebaindre, professeur de musique et membre du Souvenir français de Chine. Ce chant, en cette occasion et face à ce monument, a raisonné d’une manière toute particulière. La douce chaleur de la fin de journée, le magnifique coucher de soleil sur la mer face au cimetière, tout a concouru à donner une émotion toute particulière à ce moment. Après le dépôt des gerbes et une minute de silence ponctuée par le clairon de l’école maritime de Hong Kong, les invités se sont dirigés vers un cocktail pour prolonger ce moment de mémoire.
Le Souvenir français de Chine tient à remercier particulièrement Xavier Pech pour son soutien à l’organisation de cette importante cérémonie, mais aussi Barry Murphy et Dereck Cheung, responsables des cimetières militaires du Commonwealth. Cet hommage a également pu compter sur les présences estimables du colonel Cholley, attaché de défense à Pékin, du brigadier general Hammerbeck, des capitaines Lam et Mock ainsi que du commodore Chiu.
FD/9.12.2013
Le témoignage émouvant de la famille Égal
Stanley Military Cemetery – 6 decembre 2013 –
Roderick,
Il est très émouvant pour Marion et moi même, tes petites filles, qui ne t’ont hélas pas connu, d’être sur cette terre où il y a 72 ans tu combattais au péril de ta vie. D’imaginer ces bruits de bombardements, ces embuscades avec les Japonais alors qu’aujourd’hui l’atmosphère est grouillante de vie, sans menace.
Nous sommes heureuses et fières de te représenter, au nom de nos deux pères, tes deux fils, Georges et Pierre, adolescents au moment de ces années de guerre, quand tu défendais une France libre.. Nous sommes heureuses et fières, surtout pour toi, car cette célébration montre que les valeurs de liberté et de fraternité auxquelles tu croyais dur comme fer, malgré tout ce que tu as traversé, et pour lesquelles tu t’es battu avec ténacité et témérité, sont des valeurs qui comptent toujours.
Nous remercions donc vivement François Drémeaux et le Consul général de France pour cet hommage qui t’est rendu aujourd’hui à toi ainsi qu’à tous ceux qui ont été tes compagnons de lutte.
Nous remercions également Le Souvenir Français en Asie, qui sort de l’oubli ces français qui, loin de leur pays, ont néanmoins œuvré au rayonnement de la France.
Rappelons un peu ton histoire. Jeune homme au moment de la première guerre mondiale, tu as entre 22 et 26 ans. Tu combats dans les tranchées de Verdun dont tu ressors avec un bras droit endommagé. Avec une invalidité à 20%. Tu n’en as pas fait pas plus cas que ça ! Tu es décoré de la Légion d’honneur.. Comme la France est exsangue et que ton père vient de faire faillite, un diplôme de commerce en poche, tu décides de partir faire fortune en Chine. Tu t’y maries, a deux enfants qui naîtront à Changhai, et y vis au rythme des turbulences de l’histoire chinoise. Mais la France est bien présente, à 10000 kms de là, et tu es naturellement Président de l’amicale des Anciens Combattants. Lorsque les Allemands occupent la France et que, réfugié à Londres, de Gaulle lance son appel du 18 juin 40, c’est sans hésitation que tu fondes avec Charles Grosbois et Maurice Pontet le mouvement France Quand Même, pour une France Libre. Vous savez que vous prenez le risque de vous voir retirer la nationalité française, confisquer tous vos biens et, pour ceux sont dans la fonction publique, de ne plus pouvoir exercer votre travail. Tu mets alors tout ce qui est en ton pouvoir pour aider ceux qui se portent volontaires à rejoindre de Gaulle, à le faire. Tu sacrifies ta tranquillité, ta fortune, et on peut le dire aujourd’hui ta vie. Le mouvement prend de l’ampleur et des soldats ayant décidé de rejoindre de Gaulle, on veut t’arrêter. Le 25 septembre 1940, tu es forcé de te réfugier dans la Concession Internationale, laissant les tiens dans la Concession Française. Ce sera désormais sous la protection des Britanniques que tu poursuivras ton action, par la radio, seul moyen de communication d’alors.
Les départs se faisant de plus en plus nombreux – nous savons aujourd’hui que 300 environ sont partis rejoindre de Gaulle depuis la Chine, les instances consulaires décident d’y mettre le holà le 4 avril 41, et te font arrêter dans la concession française, alors que tu es venu furtivement visiter ta famille. Tu es alors envoyé à Saïgon pour y être jugé, loin des tumultes que ton arrestation a créé à Changhai ; on t’y emprisonne comme un criminel ! Les Anglais continuent de te protéger et créent à partir de Singapour un embargo ; 4 mois plus tard, ils t’échangent contre un navire d’opium ! L’ambassadeur de l’époque, Sir Archibald Clark Kerr, te dira avec son humour tout british qu’il ne pensait pas que tu valais autant ! Libéré, comme tu es toujours interdit de séjour dans la concession française, ni une ni deux, tu décides de rejoindre de Gaulle via Singapour. Voilà pourquoi tu te trouves à HongKong, où tu es en transit, au moment de l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais. Nous sommes le 8 décembre 41. Deux choix s’offrent à toi alors, soit prendre un avion pour Chongqing pour rejoindre le groupe de résistance de la France Libre mais ça te paraît un peu trop planqué, soit t’engager sur le terrain aux côtés des britanniques pour défendre l’île. Tu choisis la deuxième option, pensant « ne pas être trop vieux » pour te battre, (comme tu le remarqueras après coup). Tu as 49 ans.. et tu t’engages comme capitaine dans le Hong Kong Volunteers Defence Corps, avec les Anglais ! Sous les ordres de Major J.J. Paterson, tu défends le lieu stratégique de North Point avec sa centrale électrique. 10 j+ tard, tu es fait prisonnier des Japonais au cours d’une embuscade qui coûtera la vie à ton ami Jacosta. Ta captivité durera 3 ans et demi à Argyle Street Camp (près de Prince Edward Street) puis à Sam Shui Po Camp. Les conditions sont pénibles, la chaleur, l’humidité, la cruauté des Japonais dont tu n’auras pas à souffrir directement diras-tu. Beaucoup meurent, tu résistes là encore.. Et tu en retiendras les liens de fraternité. Aujourd’hui Sam Shui Po Camp fait place à Sam Shui Po Park, (à Kowloon) , à cette époque il était au bord de la mer, des arbres y ont été plantés à votre mémoire. Vous étiez au total 5000 officiers et soldats.
Hiroshima vous libère, et sentant que la Chine construisait son destin de manière moins articulée dans ses échanges avec l’Occident, tu décides alors d’implanter un deuxième comptoir à l’Union Building, à HongKong, en lien avec celui de Changhai. Malheureusement, les conditions de captivité ont affaibli ton corps et malgré ta volonté et ton esprit d’entreprise, Hong Kong sera ta dernière demeure le 29 décembre 1947. C’est dire à quel point est symbolique cet hommage qui t’est rendu, ici, aujourd’hui, à ta bravoure, par des français sur cette terre historiquement anglaise et désormais chinoise.
Véronique Egal