Mort de l’amiral Courbet (11 juin 1885)

Stèle érigée à la mémoire de l'amiral Courbet sur l'île de Makung

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Stèle érigée à la mémoire de l’Amiral Courbet sur l’île de Makung (Pescadores)

EXTRAITS DE « L’AMIRAL COURBET, VAINQUEUR DES MERS DE CHINE » DE CLAUDE FARRÈRE (1952)

C’était le 2 avril 1885 que Courbet, vainqueur des Pescadores, avait reçu sur les pentes de la montagne Ponghou, l’hommage triomphal de toute sa petite armée. C’était le même soir que, ses forces le trahissant pour la première fois, il s’était évanoui en rentrant à son bord. Il était souffrant depuis près de deux ans, et se soignait peu, se bornant aux régimes alimentaires d’usage. Il souffrait naturellement du foie, comme tous les marins fatigués par les longues campagnes dans des régions insalubres, et parmi des changements de température fréquents et brutaux. Le repos lui eut été le remède indispensable. Maïs il ne voulait pas de ce remède là. (…)

Or à peine en possession des Pescadores, et y disposant les mouillages surs, et tant désirés de toutes les unités de l’escadre, une de ces secousses morales, et celle-ci particulièrement funeste, lui avait été infligée. A son nouvel ancrage de Makung, la nouvelle du très grave échec de Lang Son était venue le frapper. Et les dépêches officielles, loin d’atténuer prudemment les faits, comme il est d’usage, les avaient plutôt exagérés. (…)

Négrier Brière de l’Isle avait, le 23 mars, échoué devant le camp retranché chinois de Bangbô. Il retraitait pour se regrouper, car il avait en face de lui de grosses forces chinoises sous les ordres du maréchal d’Empire Sou, quand le 28 mars, il fut assez grièvement blessé et dut passer son commandement au lieutenant-colonel Herbinger, lequel battit en retraite tout de bon. Le Colonel Herbinger s’était beaucoup trop hâté de reculer. Le général Brière de l’Isle, inversement, se hâta trop de télégraphier à Paris la nouvelle de ce qu’il appelait à tort un désastre. Jules Ferry terrifié renonça à ses mensonges habituels et transmit le télégramme, tel quel, au Parlement. Il manquait de sang-froid après avoir manqué de loyauté et de patriotisme, préférant les intérêts de ses partis à l’intérêt de la nation, et demeurant jusqu’au bout l’homme qui, en 1870, à la nouvelle de nos premiers désastres, les avait ainsi commentés : « Les armées de l’Empereur sont battues ! » la dépêche de Brière de l’Isle le jeta à bas du pouvoir. (…)

Et certes, Courbet le considérait comme l’auteur responsable de toutes les difficultés au sein desquelles nous nous étions débattus, tant au Tonkin qu’en Chine, depuis deux ans et plus. (…)

Sans doute – quoique Courbet méprisât de haut les intrigues parlementaires et fût mal au courant des manœuvres politiciennes des partis songea-t-il que la chute de Jules Ferry, intervenant dans un moment de crise militaire et de crise diplomatique, risquait d’être plus dangereuse encore que son maintien au pouvoir. Toujours est-il que sa santé se ressentit des évènements. (…)

Et Courbet qui, à la fin d’avril et au commencement de mai, avait semblé reprendre force et même santé, alla derechef assez mal pour que les médecins du Bayard prissent peur tout de bon. (…)

Depuis, un armistice avait été signé avec la Chine. Nos diplomates tenaient compte de Lang-Son, et ne tenaient pas compte des Pescadores. Ce n’était pas pour rendre à Courbet le goût de la vie. Ainsi tout ce qu’il avait fait – avec quels moyens dérisoires ! Six batailles gagnées, toutes les mers chinoises terrorisées au seul bruit de son nom, cela ne comptait pas. Lui-même, certes, en emporterait une gloire immortelle. Mais la France n’y gagnerait rien. La France trompée, abusée, écœurée, la France sollicitait cette paix que Courbet aurait si facilement imposée, dont il aurait si triomphalement fait une paix glorieuse et généreuse ! Courbet, dès les premiers jours de juin, retombait malade gravement. (…)

Et l’œuvre même d’un Courbet, si grande qu’elle apparaisse, ne l’est tout de bon, comme celle d’un Alexandre et d’un Hannibal, non par ses résultats durables, à peu près nuls, hélas, mais par le magnifique exemple qu’on doit en tirer, et par la gloire pure qui en rayonne, gloire pour lui-même, Courbet, gloire pour le pays qu’il servit et qui lui avait donné naissance, notre pays : la France.

Car il allait mourir.

Et non pas comme il l’avait lui même expliqué, pittoresquement, joyeusement presque « d’une révolte générale de l’estomac, des entrailles, et du foie… petites misères ! » (il avait raison de les sentir !) mais de son amertume patriotique et de l’écœurement qui le submergea, quand il vit ses victoires vaines, et en vain pareillement le sacrifice funèbre de tant de jeunes existences prodiguées avec la plus horrible indifférence pour des politiques pour qui soldats et marins ne comptaient pas. (…)

Courbet qui se désespérait devant ses hôpitaux insuffisants, ses services médicaux impuissants contre le choléra et le typhus, Courbet voyant tant d’efforts et tant de deuils n’aboutir à rien, et nul avantage n’en résulter pour le bonheur et la gloire de la France et du peuple français, Courbet mourait de lassitude et de regret. Cela fut fait très vite. Il ne se vit pas mourir, même pas de très près. (…)

Dès le 3 juin, les médecins étaient anxieux. L’amiral n’avait jamais beaucoup dormi, il ne dormait plus qu’à peine. Il souffrait beaucoup du foie. Le teint devenait couleur de vieil ivoire. Les yeux jaunissaient. Le 10 juin, on lui conseilla de garder le lit. Il se leva tout de même et travailla. Mais avant midi, il dut se recoucher. La force lui manquait. (…) A six heures, syncope. Puis fièvre. Température élevée. Nuit détestable. Au matin du 11 juin, Courbet pouvait à peine parler. (…)

Il y eut pourtant encore une accalmie, vers trois heures. Deux heures plus tard, l’aumônier de l’escadre étant venu aux nouvelles, Courbet le retint « Ah ! Monsieur l’abbé, vous savez que je suis chrétien ! » Et tout le monde s’étant en hâte retiré, Courbet se confessa, puis réclama les derniers sacrements. (…)

Courbet était adoré,à cause de sa sévérité même,de sa rigueur, de sa justice stricte, et de son cœur admirable, qu’il ne laissait jamais apercevoir sauf aux mourants. L’équipage entier, sans un mot, sans un souffle, se pressait aux portes de sa chambre.

A neuf heures cinquante, le docteur Doué, abandonnant le poignet de l’amiral, passa une glace devant la bouche entr’ouverte, puis, se redressant, articula : « Messieurs l’amiral Courbet est mort. » (…)

Le lendemain, 12 juin 1885, la dépouille funèbre du vainqueur des mers de Chine, exposée dans le cabinet de travail sur les coussins du divan de tribord, reçut son suprême et dernier hommage. Tous les matelots du Bayard, non point appelés, mais conviés, défilèrent un à un en tenue de travail, devant le corps de celui qui avait tant travaillé pour eux, tout en travaillant pour le pays, pour la civilation et pour la paix.