Pierre Teilhard de Chardin

De Histoire de Chine

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rédigé par Liu Tung-Sheng

Une étincelle qui jaillit de la rencontre entre l'Occident et la Chine

Pierre Teilhard de Chardin

Le père Teilhard était une de ces personnes dont la pensée dépasse l'époque. II était scientifique philosophique ou philosophe scientifique. Avant son époque, les chercheurs en science naturelle se nourrissaient souvent de philosophie. C'était aussi son cas. Pourtant, il appartenait aux philosophes de la nouvelle époque, qui commençaient à chercher la pensée philosophique dans la science naturelle. Son ouvrage très connu Le Phénomène Humain a commencé à attirer l'attention des philosophes depuis la deuxième moitié du XXe siècle, grâce à la pensée scientifique dans son œuvre et à la grande portée philosophique de sa synthèse des sciences naturelles, notamment concernant l'évolution de l'Homme.

Lorsque le père Teilhard travaillait en Chine, surtout avant la Seconde Guerre mondiale, les scientifiques chinois ne le connaissaient que comme paléontologue et géologue, et on savait peu sur sa pensée philosophique, parce qu'il obéissait strictement aux instructions de l'Eglise de ne rien faire d'autre que de la science, et que la plupart de ses ouvrages philosophiques furent publiés plus tard en France. En revanche, comme la plupart des ouvrages scientifiques du père Teilhard étaient sur la Chine et publiés en Chine, ses exploits scientifiques sont moins connus en Occident que sa pensée philosophique. En 1923 le père Teilhard est venu pour la première fois à Tianjin, d'où, il est allé plus tard, avec le père E. Licent, dans l'Ordos pour une étude dont la partie la plus importante était effectuée à Shuidonggou et à Shara-Oussu-Gol. Après la Seconde Guerre mondiale, il a quitté Shanghai en 1946, prenant le paquebot anglais Strathmore qui venait chercher des expatriés. Ces 23 ans passés en Chine étaient pour le père Teilhard sa vie de l'âge de 42 ans à 65 ans. C'est une période importante pendant laquelle il a atteint la maturité en science et a produit beaucoup de résultats de recherche. Pendant ces années il a publié 140 mémoires et 17 monographies dont la plupart sur la géologie, la roche, les vertébrés paléontologiques, la paléoanthropologie et l'archéologie paléolithique du quaternaire en Chine. Il est considéré comme un grand maître dans ces domaines, fondateur et pionnier de la paléontologie des vertébrés en Chine.

Le père Teilhard a vécu en Chine une période turbulente de la transition de la monarchie féodale à la société moderne. Mais il était « au-delà de ce monde », et il se limitait toujours dans les domaines de la géologie, de la paléontologie et de l'archéologie, sans doute en raison du traitement injuste qu'il subissait de l’Église (l'Église lui interdisant de publier des ouvrages philosophiques). Par ailleurs, il n'a jamais publié aucun article philosophique en Chine. Cependant, quant à la science naturelle, le père a réduit la distance entre la culture occidentale et la culture orientale. Teilhard stimule au contact avec le people, la politique, l'économie et la culture en terre de Chine va mesurer la différence qui la sépare de l'Occident. Ce sera non seulement une aventure personnelle, mais aussi une collision et un dialogue entre deux cultures, provoquant des étincelles de compréhension. Et cela réussit. L'étincelle née dans cette collision est la philosophie du père Teilhard sur l'avenir de l'Homme et de la Terre. L'est et l'ouest, tous les deux, doivent être très fiers de ce fruit. Sachant cela, J. Huxley, biologiste célèbre, a dit dans sa préface à la version anglaise de Lettres de Voyage que le père Teilhard a indiqué « une nouvelle direction d’étudier l'Homme et son Évolution », et que « son œuvre, interdite d'être publiée avant sa mort, a été, maintenant acceptée largement, et ses idées ont influencé intensément le monde de la pensée, en particulier en France, offrant actuellement aux biologistes, théologiens et philosophes presque une nouvelle voie de se réunir ».

En tant que scientifique, le père Teilhard était un génie autodidacte. Plus tard, il a appris auprès d’un professeur célèbre. Il est né en 1881. Dans sa jeunesse, en même temps qu’il a reçu une éducation théologique, il a suivi des cours de géologie et de biologie. À 24 ans (1905), il est allé en Egypte enseigner la physique. Il a étudié les fossiles des mammifères de l’éocène de l’Egypte, cela donna lieu à des publications. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à avoir une aspiration déterminée pour l’Orient. Pendant la guerre de 1914-1918, il s’est enrôlé dans l’armée comme brancardier. Le baptême de la guerre l’a amené à penser encore plus à la question philosophique de l’avenir de l’Homme. Après la guerre, il a étudié la biologie et la géologie auprès de M. Boule, célèbre paléontologiste, et il a obtenu le doctorat en géologie et le titre de professeur associé en géologie. Avant de venir en Chine, il enseignait a l’Institut Catholique de Paris où il était très aimé par les étudiants grâce à sa pensée originale et vive. En 1923, il a été recommandé par M. Boule pour venir à Tianjin assister le père E. Licent pour classer et étudier les spécimens des outils de pierre et des fossiles, collectionnés à Nihewan et Shara-Oussu-Gol, et pour participer aux expéditions et aux fouilles. À cette époque-là, il était déjà un géologue confirmé. Depuis 1929, il a été engagé comme conseiller au Laboratoire du Néozoïque de l’Institut d’Etude Géologique de Chine (China Geological Survey). Sa recherche était sur la géologie du tertiaire et du quaternaire, les vertébrés, les anciens hommes et l’archéologie paléolithique. La plupart de ses études sur la géologie et l’archéologie ont été achevées en Chine. C’est la terre de la Chine qui a nourri ce géologue et paléontologue plein de talent.

C. Aragonnes (M. Teilhard-Chambon), cousine de Teilhard, était en contact depuis longtemps avec lui par courrier. Selon elle, le père Teilhard est un « savant de plein air… Toucher la terre maternelle, selon le vieux mythe grec, le rajeunissait. Il était toujours prêt à partir. Au moindre  éveil que lui était donné d’une nouvelle piste de recherche, bien que le déplacement fût incommode ou inopportun, il prenait la route ». M. Yang Zhongjian, qui fût longtemps le collègue du père, a dit aussi que le père Teilhard « aimait la nature au point qu’il ne se sentirait pas bien s’il ne sortait pas sur le terrain pendant longtemps ». En effet, il a cherché à faire des travaux dans les Collines Parfumées de Pékin pendant l’occupation japonaise de 1937 à 1945. Il a dit dans ses lettres qu’il était heureux de travailler aux Collines Parfumées avec des amis chaque dimanche. Préparant chaque sortie, il pouvait toujours donner de bons conseils sur l’étude de l’endroit. Comme P. Leroy, fondateur avec Teilhard de l’Institut de Bio-Géologie de Pékin, a dit, il nous faisait penser au géant grec Antée, qui reprenait des forces au contact de la terre sa mère. Par là nous pouvons voir à quel point le contact de la terre est important chez un scientifique de la Terre, pour aboutir non seulement à sa science, mais à sa philosophie de science, à sa vie de science.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre le sens pour nous de la pensée et de la philosophie teilhardienne. On se demande quelle est la relation entre sa philosophie et la philosophie orientale. Dans son texte « L’Apport spirituel de l’Extrême-Orient » écrit en 1947, le Père Teilhard a en effet distingué trois courants spirituels en Orient : ceux de l’Inde, de la Chine et du Japon. Ces trois courants, selon lui, n’avaient trouvé ni leur point de confluence, ni par suite leur totale expression. Mais « le moment n’approche-t-il pas où dans la trouée faite par la pénétrante tenacité de l’Europe, leurs puissantes réserves vont s’écrouler en se mêlant à nous ? ... Quels effets ne pas attendre d’un accord enfin réalisé ? Afflux quantitatif, d’abord, d’un énorme flot humain encore disponible. Mais, bien plus encore, enrichissement, par rencontre de diverses essences psychiques, de divers tempéraments ».

Pour le devenir du rapport entre l’Occident et l’Orient, le Père Teilhard est optimiste et objectif. « Volontiers, dit-il, pour se représenter le rapprochement tant discuté de l’est et de l’ouest, les hommes toujours plus nombreux que cette question préoccupe évoquent l’idée de deux blocs complémentaires, de deux principes opposés qui se rejoignent : encore le yin et le yang du Tao. À mon sens, si la jonction s’opère, comme cela doit un jour ou l’autre arriver, le phénomène se produira suivant un mécanisme différent, plutôt comparable à celui de plusieurs fleuves se précipitant ensemble dans la brèche ouverte par l’un d’entre eux à travers une barrière commune ».

La Chine, à ses yeux, « est par excellence, et depuis toujours, un foyer d’aspirations matérielle et humaine. … S’il est possible et permis de condenser en une sèche formule l’exubérante réalité diffuse dans trois mille ans de vertus, d’art et de poésie, ne pourrait-on pas, ne faut-il pas dire que ce qui caractérise l’âme de la vieille Chine, c’est le goût, beaucoup plus que la foi, en l’Homme ? ».

Teilhard a mis dans cet essai un chapitre spécial intitulé La Confluence de l’est et de l’ouest :

« Toute la masse spirituelle de l’Orient remise en mouvement. C’est sur cette grande éventualité, ou même, si je vois juste, sur ce grand événement que je voudrais clore le témoignage ici apporté. »

(Extraits de la conférence donnée à Pékin le 14 octobre 2003 à l'occasion du 80e anniversaire de l'arrivée en Chine du Père Teilhard de Chardin).