Les escales de la « Jeanne d’Arc » à Hong Kong

De Histoire de Chine

Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

rédigé par Christian Ramage

Croiseur « Jeanne d’Arc » dans le bassin de Hong Hom à Kowloon, 1963

Le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc sera retiré du service en mai 2010. De 1933 à 1992,  La Jeanne, ou plutôt Les Jeanne, ont en effet mouillé à Hong Kong à de nombreuses reprises et ces escales ont laissé des souvenirs très forts chez les marins de la Royale.

La première Jeanne d’Arc ayant fait escale à Hong Kong, c’est l’élégant croiseur-école mis en service en 1931. Le navire, d’un déplacement de 6500 tonnes et long de 170m, embarque 150 élèves (qui dorment dans des hamacs) et plus de 500 officiers, officiers-mariniers et marins. La première campagne 1931-1932 se déroule en Amérique du sud et ne passe pas par l’Asie. En revanche, du 6 au 10 mars 1933, le croiseur-école fait escale pour la première fois à Hong Kong, escale annoncée au Consul de France par dépêche du ministère des Affaires étrangères dès le 8 juin 1932, neuf mois à l’avance... Immobilisé aux Antilles pendant le deuxième conflit mondial, le navire reprend ses campagnes après guerre et mouille à Hong Kong à plusieurs reprises. Sa dernière escale dans le port de Victoria, lors de son avant-dernière campagne de 1962-1963, marque agréablement les marins. Après avoir quitté Kobé, le croiseur affronte en effet, en mer du Japon, une violente tempête qui endommage gravement son arbre d’hélice. La Jeanne doit alors effectuer des réparations urgentes et entre en carénage à Kowloon, à la grande satisfaction de l’équipage qui voit son séjour à Hong Kong se prolonger de plus de deux semaines !

En 1964, après 33 ans de service, le croiseur est désarmé et est remplacé par la nouvelle Jeanne, le croiseur porte-hélicoptères de 10000 tonnes au dessin innovant et qui part ce mois-ci à la retraite. Chaque escale de ce véritable ambassadeur de France et de la Marine constitue un moment fort pour la communauté française. Le pont d’envol et le hangar pour hélicoptères permettent la tenue de réceptions mémorables, au son de la musique jouée par l’orchestre attaché spécialement au navire et constitué d’appelés du contingent qui effectuent un service militaire original.

Depuis sa mise en service, la deuxième Jeanne a fait escale à huit reprises à Hong Kong, lors des campagnes 65-66, 69-70, 73-74, 76-77, 80-81, 84-85, 87-88 et enfin 91-92. Pour l’équipage, l’escale de Hong Kong revêt un charme particulier, fortement teinté d’exotisme. Les récits de voyages, les souvenirs d’escales et les témoignages des marins reflètent ainsi le caractère mythique du séjour à  Hong Kong. En 1965, pour la première escale à Hong Kong du nouveau navire-école, la Jeanne d’Arc y  passe Noël et jour de l’An et un officier-marinier se souvient : « après Manille et ses 30°, nous accostons à Hong Kong six jours après, avec une température proche de 0°. [...] Nous parcourons la ville sur des pousse-pousses et prenons le tram jusqu’au sommet du Peak où une vue époustouflante s’offre à nous, sous un ciel bleu pur ». Un marin évoque sa visite à Hong Kong en 1973 : « une escale atypique pour l'époque, la rencontre entre une ville ultra moderne (buildings nombreux commerces) et la vieille Chine traditionnelle, deux mondes très différents se côtoyant ». Un officier-élève, en escale en 1978, se rappelle « des centaines de sampans à bord desquels des familles entières vivaient, dormaient et mangeaient ».

Jusqu’aux années 80, l’escale à Hong Kong est aussi l’occasion pour les marins de découvrir avec étonnement une institution très célèbre du port, en particulier au sein des marines militaires occidentales : les services de la compagnie Jenny’s Side Party que les marins français appellent souvent « Suzie Wong », en référence au célèbre roman éponyme de Richard Mason et au fait que certaines ouvrières de la compagnie se font appeler « Suzie ». En échange de la récupération de tout ce dont les navires se débarrassent lors de l’escale de Hong Kong, bouteilles, bidons, papiers, métaux, emballages, etc. les ouvrières chinoises de Jenny’s Side Party décapent les coques des navires et les repeignent en gris, en quelques jours, à l’aide « de rouleaux de peinture fixés au bout de longs bambous », comme se souvient un officier-élève de 1977, maintenant amiral. Les marins apprécient particulièrement ce service rapide et bon marché qui les affranchit d’une corvée incontournable. Un officier mariner raconte :

« De Singapour, où nous sommes restés cinq jours, nous sommes partis pour Hong Kong. La traversée fut dure car nous ramassé une queue de typhon en Mer de Chine. Nous avons été secoués pendant quatre jours de rang. A notre arrivée à Hong Kong, le bateau n'était pas beau à voir mais l'équipe nous à remis le bateau à neuf en peu de temps. […] Pour pouvoir prendre nos déchets de bouche (poubelle de table) une trentaine de chinoises sont montées à bord et en six jours d'escale, ont repeint le bateau de la ligne de flottaison jusqu'en haut du mat. Grâce à leur récupération, elles faisaient vivre tout un village sur l'eau. A notre départ, juchées sur leurs esquifs, elles nous ont offert un feu d'artifice. J'en rêve encore. »

Et les employées de Jenny’s Side Party assurent aussi lavage, repassage ou travaux de couture…

L’escale de Hong Kong, dans les années 70 et 80, est aussi celle où les marins privilégient les achats en tous genres, électronique, appareils photos, vêtements, jouets, à une période où Hong Kong est encore un producteur à grande échelle d’articles à bon marché, proposés dans les milliers de boutiques et échoppes du port ou par les vendeurs à la sauvette.

À cette époque où les ports de Chine continentale sont encore fermés aux escales de navire militaires occidentaux, Hong Kong fournit aussi l’occasion unique, pour l’équipage de la Jeanne, de déguster la cuisine chinoise, en particulier sa variante cantonaise et ses « dim sums », servis dans des petits chariots déambulant au milieu des tables. Le fait d’ignorer le chinois pour les marins français ne constitue alors pas un obstacle, la commande de plats s’effectuant simplement en désignant à la serveuse le contenu du petit panier en osier choisi sur la base de son aspect et de son fumet.

La dernière escale du porte-hélicoptères remonte aux années 1990. Après plus de 40 ans de bons et loyaux services, la Jeanne sera désarmée en mai 2010, à l’issue de sa 44e croisière et elle ne sera pas remplacée par un navire dédié à la formation. En effet, les officiers-élèves sortant de l’Ecole Navale effectuent désormais leur campagne d’application à bord d’un Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) de type « Mistral », affecté temporairement à cette mission. La première campagne de ce nouveau type a commencé en mars 2010, à bord du BPC Tonnerre. Mais, en souvenir des 80 années de croisière réalisées par les deux Jeanne d’Arc, la période d’embarquement des jeunes officiers continera de s’appeler « Campagne Jeanne d’Arc ». Hong Kong et sa communauté française verront donc peut-être de nouveau les midships et les marins de la campagne d’application en bordée dans les rues du port…

Sources

  • Témoignages écrits et oraux
  • Archives du ministère des Affaires étrangères
  • Archives du Service Historique de la Défense
  • Sources photographiques : Georges Béhague, Marine nationale, HKMM