Le Père Jean-Marie Delavay, botaniste français à la découverte de la Chine

De Histoire de Chine

Rédigé par Frédéric Jacques, normalien, agrégé, Paléobotaniste à l'Institut de Botanique de Kunming, Académie des Sciences de Chine

La Chine est célèbre pour sa médecine traditionnelle utilisant de nombreuses plantes locales. L’existence d’une botanique chinoise ancienne ne fait donc pas de doute. Pour autant, l’entrée de la Chine dans la botanique moderne est due, pour une bonne part, à des botanistes français. Le plus célèbre d’entre eux : le Père Jean-Marie Delavay.

Jean-Marie Delavay naît aux Gets en Haute-Savoie en 1834. Après sa formation au séminaire des Missions étrangères de Paris, il est nommé en Chine. Durant son premier séjour en Chine, de 1867 à 1880, dans le Guangdong et le Shaanxi, il herborise pour le compte de Hance, consul anglais à Canton. On ne connaît pas grand-chose de son travail botanique à cette époque-là, ses collectes n’ayant pas encore été retrouvées.

Rhododendron delavayi

En 1881, lors de son premier retour en France, Delavay est contacté par le Père David qui lui demande de collecter pour l’herbier national (au Muséum d’Histoire naturelle). Franchet, responsable du secteur Chine, recevra les envois de Delavay et publiera les nouveautés découvertes par Delavay. C’est dans le Yunnan que Delavay est envoyé pour son deuxième séjour en Chine, de 1882 à 1891. Il herborise pour l’essentiel dans le Nord-Ouest du Yunnan où se situe sa mission, notamment à Cangshan, Eryuan, Heishanmen, et, dans une moindre mesure, Lijiang. N’allons pas croire que les collectes soient toujours très faciles. Prenons l’exemple d’un séjour près de Lijiang : Delavay y est très bien accueilli par la population locale. Mais le voyant collecter des plantes dans la montagne, les habitants ont peur que la divinité de la montagne ne s’offusque et craignent pour leurs récoltes. Delavay est obligé de partir.

Philadelphus delavayi
Viola delavayi

Une des difficultés est l’envoi des plantes à Paris. La première solution consiste à les envoyer en caisse. L’avantage est de pouvoir en envoyer beaucoup en une seule fois. L’inconvénient est le mode de transport : l’envoi s’effectue par cheval jusqu’à Shuifou (38 journées), donc l’envoi est cher et ne peut se faire que pendant la saison sèche. La deuxième solution consiste en de petit colis, de la taille herbier (45 par 28 cm). L’envoi s’effectue par le Yang-Tsé jusqu’à Shanghai. La taille de chaque envoi est limitée, il faut donc plusieurs colis pour envoyer les collectes d’une année.

Delavay ne néglige pas ses activités missionaires. Il contactera la peste bubonique alors qu’il soigne des malades (1886). Il en restera affaibli toute sa vie. Il perd également peu à peu la vue et souffre régulièrement d’anémie paludéenne. Il séjournera en France, au sanatorium de Montbeton de 1891 à 1893. Ne pouvant se réhabituer au climat français, notamment à l’hiver, il demandera de retourner dans le Yunnan. Il décède à Kunming le 31 décembre 1895.

Delavay a laissé à la communauté scientifique un travail irremplaçable : ses collections regroupent 200 000 spécimens, 4 000 espèces dont 1 500 nouvelles (pour donner une idée, la flore complète de France se limite à 4 900 espèces). Le quart de ses collections se trouvent à l’herbier national de France à Paris. Franchet a publié ces découvertes dans le Plantae Delavaynae, un ouvrage qui devait compter 20 volumes, mais dont seulement deux seront publiés suite à son décès précoce.

La force du travail de Delavay ne se limite pas à la quantité, mais est aussi caractérisée par une très grande qualité. Le Père est très méticuleux dans ses notes, il a une très bonne mémoire des plantes collectées, ainsi que des sites d’herborisation. Il n’hésite donc pas à corriger Franchet sur certaines identifications, ou à s’autocritiquer lorsqu’il s’est lui-même trompé. Pour mieux s’y retrouver dans toutes ses collectes, il demande régulièrement à Franchet de lui envoyer la liste des plantes reçues. Son enfance et son adolescence dans les Alpes lui a donné une bonne connaissance de la végétation alpine, connaissance qu’il met à profit dans les hautes montagnes du Yunnan à la végétation alpine.

Delavay ne collecte pas seulement des spécimens d’herbier mais aussi des graines. Il envoie des graines pour introduction en Europe, cela implique des récoltes plus tardives. Régulièrement, il s’inquiète de leur germination à Paris, indique lesquelles peuvent être semées en pleine terre ou en orangerie, et demande à Franchet de lui indiquer quelles espèces il aimerait recevoir.

Parmi les découvertes de Delavay, citons : la pivoine de Delavay (Paeonia delavayi), l’Incarvillea de Delavay (Incarvillea delavayi), le magnolia de Delavay (Magnolia delavayi), le pin du Yunnan (Pinus yunnanensis), le sapin de Delavay (Abies delavayi), le Rhododendron à pétites épines (Rhododendron spinuliferum), le rhododendron de Dali (Rhododendron taliense), le rhododendron de Delavay (Rhododendron delavayi).

Le travail des botanistes français en Chine n’a pas commencé avec Delavay. Revenons en quelques mots sur le Père David, à qui l’on doit d’avoir « recruter » le Père Delavay. Jean Pierre Armand David (1826-1900) est un prêtre vincentien qui a enseigné en Italie plusieurs années en Italie avant d’être envoyé en Chine. Arrivé en Chine en 1862, il est officiellement reconnu comme collecteurs pour le Muséum d’Histoire naturelle, il collecte principalement en Mongolie et dans les région proches du Tibet.

Plusieurs autres missionnaires français ont laissé leurs noms dans la botanique chinoise :

  • Le Père Paul Guillaume Farges (1844-1912) naît à Monclar-de-Quercy. Il arrive en Chine en 1867, il reste dans le Nord-Est du Sichuan jusqu’en 1903. Il envoie plus de 4000 spécimens à Paris, et des graines à Maurice de Vilmorin.
  • Le Père Emile-Marie Bodinier (1842-1901). Il envoie plusieurs milliers de spécimens à Paris depuis le Guizhou.
  • Le Père François Ducloux (1864-1895). Il est directeur du séminaire de Kunming. Il envoie quelques 6000 spécimens à Paris et de nombreuses graines pour des acclimatations en France. Il initie des prêtres locaux à l’herborisation : ces spécimens seront aussi envoyés à Paris.
  • Le Père Jean-André Soulié (1858-1905). C’est un collecteur zélé au Tibet, sa connaissance des plantes lui vaut d’être considéré comme médecin par les chrétiens locaux. Doué pour le mimétisme, il se déguise en marchand dans les caravanes. Il sera mis à mort après 12 jours de torture par les lamas.

Arrivé à ce point, nous pouvons nous poser la question suivante : pourquoi tant de missionnaires herborisent-ils ? Nous pouvons sans doute esquisser plusieurs pistes de réponse. Les missionnaires résident en permanence dans des régions reculées. Pour visiter leurs chrétiens, ils sont obligés à de longs déplacements à pied sur des chemins étroits. En tant que chrétiens, ils sont tout naturellement incités à la contemplation de la Création.

Ensuite viendra la grande époque des chasseurs de plantes. Un certain nombre d’européens et d’américains, voyant la richesse des plantes de Chine iront ou enverront des collaborateurs chercher des graines, pour pouvoir les commercialiser en Occident après acclimatation. Citons par exemple : Georges Forrest, Joseph Rock, Heinrich Handel-Mazzetti et Francis Kingdon-Ward.