Un artilleur français dans la Chine des Boxers

De Histoire de Chine

Cet article est une contribution du Souvenir Français de Chine. → Visitez le site du Souvenir Français

rédigé par Claude Jaeck

Jean Bedeau

C’est au mois de juin 1900 qu’éclate la guerre des Boxers qui oppose la Chine à sept grandes nations occidentales et au Japon coalisés. Jules Bedeau, jeune charron du département de la Mayenne, qui souhaite échapper à la monotonie du service militaire de 3 ans, se porte volontaire pour participer à la campagne de Chine. Le lendemain de son départ du Mans, il débute la rédaction d’un journal qu’il achèvera à son retour au village natal.

Les évènements de Chine font la une des journaux et la presse s’inquiète de la situation des Européens assiégés dans les légations des villes de Pékin et Tien-Tsin.  La France envoi un contingent de 17000 hommes aux côtès de l’Allemagne, la Russie, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche, les Etats-Unis et le Japon.

C’est dans ce contexte que notre héros, volontaire, quitte sa ville de garnison pour une campagne, qui va durer, pour lui, douze mois. Conscient de l’importance, à l’échelle de sa vie, de l’aventure qu’il va vivre, Jules Bedeau prend la plume et débute son journal le 9 août 1900. Il quitte Marseille à bord du Matapan le 21 août. Le navire fait escale à Port-Saïd, Aden, Colombo et Saïgon. Les simples hommes de troupe n’ont pas l’autorisation de quitter le bateau, ce que regrette profondément notre artilleur.

Le 14 octobre, enfin, pour la première fois, il aperçoit la terre de Chine. Il est au large de Takou, port situé dans la province du Zhili où se situent les villes de Pékin et Tien-Tsin.  

La guerre est alors finie : les alliés ont libéré les assiégés de Pékin depuis le 15 août 1900. A bord du bateau, le bruit court parmi les soldats, qu’ils ne débarqueront jamais puisque la guerre est terminée. Jules Bedeau est découragé, profondément déçu. Il attend 12 jours, en baie de Takou, avant de débarquer. Enfin le 26, il foule la terre de Chine. Il découvre les villages et les villes en ruine. Il décrit alors le « désastre » que constitue la guerre, mais aussi la joie qui l’habite d’être en ses lieux. Durant ses dix mois de présence en Chine Jules Bedeau ne tirera pas un seul coup de feu. Il ne croisera pas un seul Boxer même si, a plusieurs reprises, leur présence est signalée non loin de la ville dans laquelle s’est établie son régiment : Yang Tsoun entre Tien-Tsin et Pékin, bourgade dans laquelle il vivra dix mois durant.

Le journal de Jules Bedeau

Il traverse un hiver rigoureux à l’ extrême, sans être victime de maladies. Il découvre le quotidien des chinois, qui, peu a peu, reviennent s’installer dans leurs villages après s’être cachés de la colère des Boxers et de la barbarie extrême des alliés. La vie reprend et Jules Bedeau apprend à connaitre les Chinois. Bientôt il ne rêve plus de les combattre, mais leur achète, à petit prix, des volailles et des légumes sur les marches.  Il leur commande des gaules en bambou pour aller taquiner le poisson-chat. Il partage avec eux le thé et loue leur hospitalité. Il constate l’aide précieuse qu’ils peuvent lui apporter pour réaliser de petits travaux dans les maisons dans lesquelles les soldats s’installent. Séduit par l’artisanat chinois, il décore sa chambre d’objets qu’il achète.

La situation particulière des femmes retient son attention. Il évoque en particulier la pratique du bandage des pieds alors largement répandue. On notera, à ce sujet, qu’il n’évoque pas dans son journal, la sexualité des soldats. Il précise seulement que les femmes chinoises ne sont pas attirantes, contrairement aux femmes japonaises, qu’il découvre à l’ occasion d’une escale à Nagasaki, lors du voyage retour.

Jules Bedeau apprend aussi à connaitre les soldats alliées. S’il manifeste peu de considération pour les Anglais, en revanche, l’image des militaires allemands apparait nettement plus positive. Il les combattra malheureusement 14 ans plus tard lors de la Grande Guerre.

Lors de la campagne de Chine, les armées cohabitent dans la bonne entente. Elles s’observent et se respectent.  Ainsi, en avril 1901, Jules Bedeau participe a un grand défilé organise par le général Voyron, général en chef des forces française d’Extrême-Orient.  De très nombreux soldats des nations alliées assistent à l’évènement. Détail amusant, le défilé se déroule un jour de grand vent qui soulève une épaisse poussière. Jules Bedeau, pourtant excité à l’idée de croiser cet officier de haut rang, ne parvient pas à l’apercevoir, alors qu’il ne défile qu’à quelques mètres de celui-ci.

Les mois passent. Jules Bedeau est heureux d’échapper à la monotonie d’un service militaire qui dure alors trois années. Il ne souhaite absolument pas rentrer en France. Il ne désire pas achever son service militaire au Mans.  Pourtant, à son grand regret, le 7 juillet 1901, il doit quitter la Chine. Il embarque alors sur le Salazie, pour arriver à Marseille le 17 août. Six jours plus tard il rentre dans son village natal. Une foule importante, avertie par un cycliste qui l’a devancé, l’attend à l’entrée du village. Il tombe alors dans les bras de ses parents et de son frère ainé. Il achève ce jour-là la rédaction de son journal.

Le journal de Jules Bedeau est un témoignage historique précieux sur cette période. Il apporte le point de vue d’un simple soldat, d’un simple fantassin de l’histoire. Ce document donne des renseignements passionnants sur le quotidien des soldats mais aussi sur la personnalité de son auteur. Le journal en est, d’une certaine manière, l’empreinte psychologique. Les sujets retenus par notre artilleur, la façon de les évoquer, les termes utilises en disent long et témoignent de sa personnalité.

Sources

Le journal de Jules Bedeau, un artilleur français dans la Chine des Boxers (1900 - 1901), par François Pavé (2007)