Le corps expéditionnaire de Chine (1856-1860)

De Histoire de Chine

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rédigé par Charles Lagrange

Dans l’ouverture « forcée » de la Chine, le corps expéditionnaire de Chine a joué un rôle primordial : une épopée qui a démarrée dans le sud par l’arraisonnement d’un navire et s’est terminée dans le nord par l’invasion de Pékin, mais qui a utilisé Shanghai et sa région comme base d’appui importante portant à un moment le nombre de soldats qui y étaient stationnés – anglais et français confondus – à 7000 !

Le Traité de Tientsin (Tianjin)

Tout commença à Canton le 8 octobre 1856 lors de l’arraisonnement par les autorités chinoises de la lorcha Arrow, bateau de style portugais utilisé pour le cabotage sur la côte de Chine, et qui battait pavillon anglais. Les lois internationales ayant été bafouées et les négociations de libération de l’équipage ayant échouées par la voie diplomatique, c’est la marine anglaise, sous le commandement de l’amiral Seymour et avec le concours de la marine française dirigée en Chine par l’amiral Guérin, qui règlera la chose de la manière forte.

La marine anglaise décide d’envoyer un corps expéditionnaire de 5000 hommes et le baron Gros, envoyé spécial de l’empereur Napoléon III, se joint à l’expédition avec quelques bâtiments de la Royale. Le 29 décembre 1857, un contingent de 1300 Français prêtent main forte aux Anglais dans l’opération de débarquement à Canton où ils rencontrent une force de 15.000 réguliers chinois rapidement dispersés. Le vice-roi Yeh est fait prisonnier et envoyé en exil à Calcutta.

Lord Elgin, aidé du baron Gros, entame alors à Shanghai avec le successeur de Yeh des négociations visant à mieux ouvrir les ports aux règles du commerce international. Les négociateurs chinois tergiversent et de guerre lasse, les plénipotentiaires européens menacent d’aller porter les hostilités au nord, près de la capitale. Les deux flottes gagnent le nord et jettent l’ancre faces aux forts de Takou (Tanggu) qui gardent l’entrée du fleuve Pei-Ho, fleuve qui remonte jusqu’a Tong tchou (Tongzhou), à quelques dizaines de kilomètres de Pékin, en passant par Tientsin. Le 19 mai 1858, la flotte alliée avance dans l’embouchure sous le feu nourri des forts, auquel répond l’artillerie de marine sous le commandement de Seymour et de l’amiral Rigault de Genouilly. Les forts et leurs pièces sont foudroyés et les troupes de marine débarquent afin de déloger les occupants des forts. L’explosion d’une poudrière permet la victoire et les troupes remontent alors vers Tientsin dont elles s’empareront le 31 mai.

Les émissaires alliés entament alors des pourparlers avec les commissaires chinois, à l’extérieur des remparts de la vieille ville chinoise de Tientsin. Une des exigences des alliés est de pouvoir accéder à la capitale afin de pouvoir à l’avenir négocier directement avec le gouvernement impérial et éviter ainsi les intermédiaires provinciaux. Le 4 juillet, le traité – qui portera désormais le nom de traité de Tientsin – est signé par les plénipotentiaires chinois. La ratification par l’empereur est remise à plus tard, et les troupes alliées se replient sur Shanghai, qu’elles atteignent le 30.

Une ratification qui ne vient pas et se double d’une défaite

Le 20 juin 1859 l’ambassadeur anglais Bruce et le Français de Bourboulon se présentent à l’embouchure du Pei-Ho dans l’espoir de remonter jusqu’à Pékin faire ratifier par l’empereur les clauses du traité de Tientsin. Les Anglais n’ont déplacé qu’une simple escorte pour accompagner les ambassadeurs : 3 vaisseaux et 11 canonnières. Les Français disposaient de la corvette à batterie Duchayla et d’un aviso, le Norzagaray ainsi qu’une compagnie de débarquement. Il trouvèrent les défenses des forts de Takou particulièrement renforcées de part et d’autre du fleuve, avec de surcroît 3 redoutables estacades bardées de chevaux de frise en fer.

Dans la nuit du 24 au 25 juin, les navires de la flotte anglo-française s’aventurent dans le fleuve et subissent alors le feu croisé des deux forts. L’amiral Hope, dirigeant l’opération, est grièvement blessé et le commandant français Tricault prend alors l’initiative de débarquer et se lance à l’assaut des fossés entourant les forts, ceci afin de créer diversion pendant que le gros des troupes se retire. Le 25 au matin, les alliés firent leurs comptes : c’était un désastre, 450 hommes étaient hors de combat, les Français avaient perdu le cinquième de leurs effectifs et les dirigeants étaient blessés… Les « Barbares » avaient perdu la face et le traité de Tientsin était loin d’être ratifié, en bref cet échec remettait en cause la présence même des occidentaux en Extrème-Orient. L’affaire fit grand bruit dans les chancelleries et aussi bien Napoléon III que la reine Victoria comprirent que cette action ne devait pas rester impunie.

La mise sur pied du Corps expéditionnaire

Cousin Montauban

Napoléon III mit sur pied une équipe dont la tâche était de préparer un corps expéditionnaire dont la stratégie devait être parfaitement coordonnée avec la Royal Navy et dont l’équipement serait adapté au terrain. La marine commanda la construction de canonnières et 3 grands navires à vapeur furent achetés pour le transport des troupes. Le recrutement de volontaires de toutes les unités fut organisé de toute hâte et il ne resta plus qu’à nommer un commandant en chef. Ce fut le général Fleury, aide de camp de Napoléon III qui suggéra à l’empereur de nommer le général Cousin Montauban.

Cousin Montauban était un homme de 63 ans, avec une longue carrière militaire derrière lui : issu de Saumur, il eut très tôt une formation interarmes. Il commanda brillamment la subdivision de Mostaganem, puis celle d’Oran et se rendit particulièrement célèbre en capturant Abd-el-Kader sur la frontière marocaine en 1847. Il fut nommé général de brigade en 1851 et commanda alors plusieurs grandes unités en France. Le général accepta la tâche et ses dernières prérogatives furent définies par décret le 15 décembre 1859.

Le Corps Expéditionnaire était créé, il comprenait 8000 hommes, répartis en 1 bataillon de chasseurs, 2 régiments de ligne, 1 régiment d’infanterie de marine, 2 compagnies du génie, 4 batteries d’artillerie, et des détachements de gendarmerie, de cavalerie, du train ainsi que des ouvriers et un service de santé. Le tout se trouvait embarqué sur 42 bâtiments à hélice, 6 bâtiments à roue, 13 bâtiments à voile, 20 navires pour la remontée du PeiHo ainsi que 83 navires de transport loués ou nolisés. A leur coté, les Anglais avaient mobilisé 12000 hommes, répartis sur une flotte de 87 navires militaires flanqués de 135 navires de commerce nolisés.

L’armada était lancée et rien n’allait plus l’arrêter…

Le conflit

 Un des premiers objectifs fut de trouver une base navale d’où les deux corps expéditionnaires pouvaient mener les opérations.

En parallèle, le général Cousin Montauban organisa à Shanghai un hôpital de campagne, dans la propriété des frères Lazaristes, le long de ce qui deviendra le Bund français.

En mars 1860 le vice amiral Charner fut nommé commandant en chef des forces navales dans les mers de Chine. Charner avait derrière lui une brillante carrière dans la marine et s’était notamment illustré durant le siège de Sébastopol. Il avait également participé à la mission de Lagrené en 1843 et assisté à la signature du Traité de Whampoa entre la France et la Chine. Il connaissait donc bien les côtes chinoises pour les avoir longtemps étudiées.

Entre ce nouveau venu et les plénipotentiaires, Cousin Montauban se trouva un peu à l’étroit, mais en bon militaire, il n’y fit rien paraître.

Son exaspération fut vite oubliée car il y avait un autre besoin urgent : l’achat de chevaux qui n’étaient pas disponibles localement. Il dirigea une mission au Japon voisin et avec le concours du ministre de France sur place, il put négocier l’achat de 200 chevaux qui furent acheminés à Shanghai. Des écuries furent aménagées en face du domaine des religieux où allait se bâtir deux ans plus tard l’église Saint-Joseph, dans une rue qui portera son nom (et qui aujourd’hui est la Sichuan nan lu).

Les termes offensifs de la réponse chinoise à l’ultimatum des ministres de France et d’Angleterre avaient conduit les deux pays à décider l’occupation des îles Chusan (Zhoushan) que les Anglais connaissaient bien pour les avoir déjà utilisées 20 ans auparavant comme point d’appui à leurs opérations. Ce fut chose faite dès le 21 avril.

Les Français décidèrent de prendre appui dans une région plus proche du futur théâtre des opérations et ils choisirent la presqu’île de Chefoo (Yantai) qui se trouvait à 200 km de l’embouchure du Pei-Ho.

Après avoir prêté main forte au Taotai de Shanghai pour disperser les troupes de Taipings rôdant dans la région, la flotte française mit cap au nord.

Chefoo fut investi le 8 juin et le 2 juillet, Cousin Montauban y rejoignit les 6000 hommes de troupe qui y cantonnaient.

Une dernière réunion de préparation eut lieu avec les Anglais dont la flotte avait alors relâché dans la baie de Talien (Dalian).

Au lieu de s’attaquer directement aux forts de Takou où les alliés avaient essuyé leur défaite de juin 1859, ils décidèrent de débarquer plus au nord et de prendre la place par la terre. Le 2 août, les forts de la rivière Peh-Tang étaient pris. Le 21 août, ceux de Takou étaient enlevés après une courte bataille et 500 bouches à feu étaient récupérées.

De nouveaux pourparlers furent entamés avec les envoyés de l’empereur mais sans résultats.

Aussi le 9 septembre, il fut décidé d’avancer vers Pékin le long du fleuve Pei-Ho.

Tientsin fut investi deux jours plus tard.

Le ministre chinois de la guerre Hanhg-ki demanda la réunion d’une conférence à Tong Tchéou (Tongzhou). Une commission franco-anglaise y fut envoyée avec quelques hommes d’escorte et tomba dans une embuscade tendue par le général Seng-ko-lin ts’in qui depuis le début dirigeait les opérations contre les Européens.

Quelques-uns purent s’échapper mais 13 français et 26 anglais furent fait prisonniers et la plupart périrent massacrés ou dans les pires tortures.

L’armée se porta en avant et le 18 septembre, un corps anglo-français de 2000 hommes contra une armée de 20000 hommes qui, au bout de quelques heures de combats, y laissa 2000 victimes et 80 pièces d’artillerie.

L’armée chinoise était en fait constituée de 3 corps :

  • un premier comprenant huit « bannières », composé de 270.000 Tartares, Mandchous et Mongols et qui affronta directement les étrangers ;
  • un deuxième composé de « milices aux drapeaux verts » chinois et totalisant 600.000 hommes,
  • et un troisième, constituant la milice urbaine et forte de 300.000 hommes.

Le 21 septembre les armées se concentrèrent à Tong Tchéou, prirent le chemin de Pékin et au fameux pont de Palikao, construit au XVIIème siècle en pierres blanches, les attendaient 20.000 réguliers pour leur barrer la route.

La bataille du pont de Palikao fut sanglante : 1200 hommes furent tués ou blessés du côté allié.

Apres leur défaite, les troupes impériales prirent position à 18 km de Pékin, puis face à l’avancée des troupes alliées se retirèrent dans leur QG au nord de la capitale.

Le 6 octobre les troupes anglaises attaquèrent le camp tandis que Cousin Montauban se dirigea vers le palais d’été de l’empereur, le Yuan Ming Yuan.

Le 7, Lord Elgin le rejoignit avec ses troupes et devant tant de richesses étalées dans les différents bâtiments du palais, il manifesta son envie de ramener un tribut à la reine Victoria.

A ce moment-là commença un partage en règle des richesses du palais qui ne profita pas qu’aux troupes victorieuses car la plupart des objets de taille furent vendus sur place aux commerçants chinois et que dès que les alliés quittèrent l’endroit, il fut saccagé par des centaines de pillards chinois.

Lorsque furent rendu les quelques prisonniers alliés encore vivants, à la vue de leur état de délabrement lord Elgin rentra dans une rage noire et dans un mouvement d’humeur, ordonna de mettre le feu au palais.

Cette destruction vit partir en fumée des siècles d’œuvres d’art asiatique et d’archives : ce qui restera dans l’histoire comme « le sac du Palais d'été » sera sans conteste le moment le moins glorieux de l’histoire du corps expéditionnaire en Chine et dont, à l’exception de quelques journaux de l’opposition, on ne fera pas grand bruit à l’époque...

Le traité de paix fut signé en grande pompe le 28 octobre sur le site du cimetière des jésuites.

Ce n’est qu’en novembre que les troupes quittèrent la capitale. Un petit contingent fut laissé en garnison à Tientsin conformément au traité, un autre fort de 3000 hommes fut cantonné à Shanghai et 3000 hommes furent ensuite envoyés en Cochinchine renforcer les troupes coloniales.

Les opérations du corps expéditionnaire de Chine étaient terminées.

Outre sa remarquable organisation et l’expérience acquise d’une opération avec les anglais, sa venue constitua effectivement le début de la présence militaire française en Asie dont l’épopée se terminera au Tonkin, quelque 94 ans plus tard...