Les volontaires et l’armée française face à la Révolte des Taipings

C’est en 1846 que nait, dans la provinve Sud du Kwangsi (Guanxi) un mouvement appelé Pai Shangti Hui, littéralement « la société des adorateurs de Dieu ». Ce mouvement de révolte contre le régime impérial fut crée par un certain Hung Hsiu-ch’uan, un homme semi-éclairé, féru de littérature chrétienne mais dont la raison était chancellante, et qui s’était proclamé « Jeune frère divin de Jésus-Christ ». Hung considérait que son mandat était de gouverner la Chine.

Les hostilités avec le régime impérial commencèrent dès octobre 1850 quand le mouvement prit fait et cause pour une rébellion des Hakkas à la frontière entre le Guangdong et le Guangxi. Après une victoire à Chin-t’sien, Hung baptisa son mouvement T’ai-p’ing T’ien-Kuo (Le Royaume céleste de la grande Paix) et s’intronisa le Roi des Cieux. En deux ans, d’une bande de 10.000 pillards, le mouvement deviendra une armée organisée de plus d’un demi million d’hommes.

Les Taipings conquerront ville après ville, multipliant massacres, pillages et destructions lors de leur progression vers le Nord. En Mars 1853, ils prendront Nankin, coupant par la-même le Grand Canal, voie de ravitaillement du nord de la Chine, mais au lieu de consolider leur avantage, ils s’y installeront. Les impériaux, ayant regroupé et consolidé leurs troupes, assiègeront la ville à de nombreuses reprises et qu’ils finiront par conquérir 9 ans plus tard, amorçant par là- même la débâcle du mouvement.

Un mouvement issu de la mouvance Taiping, les Xiaodaohui (les Petits Couteaux), suit l’élan victorieux du gros des troupes et s’empare de la ville chinoise de Changhai le 7 Septembre 1853. Les impériaux contreattaquèrent dès fin septembre 1853, et viendront faire le siège de la ville chinoise. Entre les rixtes, les pillages, et les exactions perpétrées par les soldats impériaux stationnant aux alentours, les incursions des rebelles et les projections de mitraille à partir des remparts, la peur et l’indignation se feront sentir dans les 3 concessions.

Les troupes françaises, sous la direction de l’amiral Laguerre, appuyées par les troupes de marine des deux corvettes Colbert et Jeanne d’Arc, interviendont à plusieurs reprises contre les rebelles ou les impériaux, soit seules, soit de concert avec les troupes anglaises et américaines. Les Européens construiront un mur de protection à la frontière des concessions et constitueront avec l’appui des impériaux, le blocus de la vieille ville. Affamés, décimés par les interventions ponctuelles des Européens ou des impériaux, les Petits Couteaux ne résisteront pas à une dernière charge opérée à l’occasion d’une brèche ouverte dans la muraille, le 18 Février 1855.

La rébellion Taiping était cependant toujours active et en 1856, les troupes rebelles comptaient 1 million d’hommes. Quatre ans plus tard, le chiffre était passé à plus de 2 millions… Face à eux, l’armée impériale, forte de 2 à 3 millions d’hommes, dont l’équipement et la puissance de feu étaient supérieurs mais dont la discipline, la bravoure et la détermination faisaient souvent défaut. Le 20 Août 1860, l’armée Taiping avance de nouveau jusqu’aux portes de Shanghai. Ils se retournent vers les concessions et essuient aussitôt une pluie de mitraille envoyée par les canonnières Nimrod et Pioneer sous le commandement de l’amiral anglais Hope, secondé par une compagnie de volontaires menée par un aventurier américain, Frederic Townsend Ward.

Ward était ce genre d’aventurier comme on en rencontre peu dans l’histoire. Né à Salem, Massachusetts en 1831, il s’engagera dans plusieurs armées de mercenaires et se battra au Mexique et en Crimée. En 1860, il arrive à Shanghai et joint l’équipe du Confucius, un vapeur affrété par des officiels mandchous, financé par les banquiers de Ningbo, équipé par des mercenaires américains et dont la tâche était de chasser les pirates… Son expérience, sa vaillance au combat et son intégration avec les Chinois, furent remarquées par les autorités des concessions qui le nommèrent chef du Corps des forces de défense étrangères (Foreign Arms Corps) naissant, chargé de contenir l’avance des Taiping. La présence à Shanghai d’anciens marins, de déserteurs et autres renégats des marines anglaise et américaine, permit la formation rapide de ce corps armé.

C’est donc au départ une armée polyglotte de 100 étrangers qui se battra contre les forces Taiping. Ils eurent à essuyer plusieurs défaites au début mais la peur des populations locales poussera progressivement les autorités impériales à les soutenir, les financer et les armer. Dès janvier 1862, Ward put aligner une armée de 1.000 hommes dont le commandement était assuré par des étrangers et mit en déroute des dizaines de milliers de Taipings. Son armée fut officiellement appelée « L’armée toujours victorieuse » (Ever Victorious Army) et Ward fut décoré mandarin de 3ème rang, honneur suprême pour un « barbare ».

En septembre 1862, l’armée comptera plus de 5.000 hommes et au siège de Tz’u-chi (Cixi), près de Ningbo, Ward fut mortellement blessé et mourra le 22 du même mois. Ward fut succédé par le fameux Charles Georges Gordon qui mena l’Ever Victorious Army à la victoire et qui se distinguera plusieurs années plus tard au siège de Khartoum, au Soudan. Gordon défit les Taiping à Soochow (Souzhou) en décembre 1863, puis à Changchou en mai 1864, sonnant le glas des rebelles qui furent finalement vaincus en juin de la même année par les troupes impériales lors du siège de Nankin.

Et les Français ? C’est un français, Albert de Caligny, qui fut co-fondateur de l’armée toujours victorieuse et se sont les forces navales françaises qui assurèrent un soutien à celle-ci. Leur commandant, l’amiral Auguste Protet, y perdra d’ailleurs la vie en 1862. C’est enfin Adrien Tardif de Moidrey qui créa le Corps Franco-chinois du Kiangsou, corps d’artilleurs chinois bien entraînés qui épaulèrent brillamment les troupes de Ward.

C’est à la suite de ces deux révoltes Taiping et leurs cortèges de malheurs que le Consul Général de France décidera de doter Changhai d’une force publique qui verra le jour dès 1862 et qui deviendra la très fameuse Garde Municipale dont nous reparlerons un jour.

Charles Lagrange