Mémoire de Lecture – Les Jésuites en Chine (1702-1776)

                                                                                          Le Père  Matteo Ricci

Lettres Edifiantes et Curieuses des Jésuites en Chine (1702-1776)

Isabelle et Jean-Louis Vissière –Editions Desjonquières

La Chine, qui, aujourd’hui fait partie de notre univers familier, incarnait, au XVIIe siècle, l’étrangeté absolue. Cette Chine inaccessible, les missionnaires européens avaient en effet réussi a s’y implanter. Un jésuite mathématicien et astronome,le Père Matthieu Ricci,avait su se concilier par ses connaissances l’amitié des mandarins et même les faveurs de l’empereur. A sa mort en 1610, l’évangélisation semblait en plein essor. Vers 1660, le territoire chinois comptait cent cinquante et une églises, et trente-huit résidences jésuites. Ainsi chacun suivait son idée : l’empereur, dont la politique reposait sur l’astrologie, considérait qu’il disposait de spécialistes de la science céleste. Les jésuites de leur côté comptaient sur leur supériorité scientifique pour convertir les élites chinoises au christianisme. Les dernières années du siècle vont voir s’établir une Mission française, a laquelle nous devons les documents exceptionnels que constituent les Lettres publiées a Paris en 1702.Le succès est immédiat, le public cultivé ,les intellectuels européens apprécient grandement ces témoignages des contrées lointaines. A Pékin, les jésuites français ont plusieurs églises. Ils habitent la résidence Pe-t’ang (Eglise du Nord), a proximité du Palais,dans l’enceinte même de la Cite impériale. Les pères, dont le nombre a oscille entre quinze et vingt, sont tous des savants, et selon Voltaire,des hommes de cour ! Dans les Constitutions, Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus en 1540, exigeait de ses missionnaires des rapports précis, détaillés sur les régions qu’ils allaient évangéliser. Pour prendre ses décisions en connaissance de cause, il tenait a être renseigné non seulement sur la géographie, mais sur les mœurs et coutumes locales. Toutefois ces rapports restaient généralement confinés à des cercles confidentiels, jusqu’à la publication au début du XVIIIème siècle des premières Lettres qui rapportent l’installation de cette première mission française a Pékin.

Ces Lettres sont édifiantes pour la propagande qu’elles contiennent, destinées à valoriser la mission jésuite en Extrême-Orient, vivement critiquée en France pourtant. On reproche aux jésuites de trahir les valeurs catholiques au nom d’une stratégie d’accommodation aux mœurs des peuples qu’ils prétendent évangéliser. Pascal, le janséniste, provoquant la célèbre querelle des rites, ne pardonne pas aux jésuites leur tolérance pour les pratiques religieuses locales, qui pour lui ne sont rien d’autre que superstition et idolâtrie. Par ailleurs, ces Lettres sont aussi curieuses pour la charge d’exotisme qu’elles contiennent, l’ouverture sur d’autres cultures, sur la différence. Le public européen découvre avec passion les mystères d’empires éloignés. La sinophilie est, qu’on le veuille ou non, une composante de la pensée des Lumières,et la Chine n’a pas de plus fervent admirateur que Voltaire .Ayant lu les Lettres,il conclut hardiment que les Chinois se placent au-dessus de tous les peuples de la terre,par leur ancienneté et par leur supériorité intellectuelle et morale. Il ne se lasse pas de récrire la formule de l’empereur Yong-tcheng « Je suis tolérant, et je vous chasse parce que vous êtes intolérants ».Certes, ce ne sont pas les jésuites qui ont imposé la mode du thé, des magots,de la porcelaine et des jardins chinois mais pour satisfaire les goûts du public mondain,ils ont rédigé des passages consacrés aux animaux domestiques,aux plantes rares,aux œuvres d’art et aux objets précieux. Les Lettres ont eu un impact considérable sur la vie intellectuelle et artistique de l’époque. Montesquieu se méfiait de l’autocratie chinoise, despotique, ignorante des lois ; en même temps l’Empire du Milieu lui fournissait un exemple parfait des dérives possibles du monarchisme européen. Sans doute n’est-il pas excessif de dire qu’au XVIIIème siècle ces Lettres, en alimentant la réflexion, ont contribué à changer la vie de la société occidentale.

                                                     Les jésuites adoptent les coutumes de l’habillement local

 

Comme dans cet extrait d’une lettre du Père d’Entrecolles,missionnaire de la Compagnie de Jésus au Père Orry,Procureur des Missions à propos de la porcelaine.

« La matière de la porcelaine se compose de deux sortes de terres,l’une appelée pe-tun-tse,et l’autre qu’on nomme kaolin.Celle-ci est parsemée de corpuscules qui ont quelque éclat ;l’autre est simplemant blanche et très fine au toucher.Le pe-tun-tse dont le grain est si fin,ne sont autre chose que des quartiers de rochers qu’on tire des carrières,et auxquels on donne cette forme.Toute pierre n’y est pas propre,sans quoi il serait inutile d’en aller chercher a vingt ou trente lieues dans la province voisine.La bonne pierre disent les chinois doit tirer un peu sur le vert.Voici quelle est la première préparation.On se sert d’une massue de pierre pour briser ces quartiers de pierre,ensuite on achève de les réduire en une poudre très fine.Ensuite cette poussière,on la jette dans une grande urne remplie d’eau,et on la remue fortement avec un pelle de fer.Quand on l’a laissée reposer quelques moments,il surnage une espèce de crème épaisse de quatre à cinq doigts ;on la lève,et on la verse dans un autre vase plein d’eau.

C’est du kaolin que la porcelaine fine tire toute sa fermeté,il en est comme les nerfs.Ainsi c’est le mélange d’une terre molle qui donne de la force aux pe-tun-tse,lesquels se tirent des plus durs rochers. »

La porcelaine chinoise était depuis longtemps connue et appréciée en Europe.

Mais ce fut au XVIIIème siècle que la vogue des chinoiseries prit une importance considérable.On ignore encore en France,à cette époque,le secret de la porcelaine dure,à la chinoise.Les recherches n’aboutiront qu’après la découverte du vrai kaolin dans la région de Limoges.

Des missionnaires mais aussi des savants.

 

Sous le régne de Yong-Tcheng,le Père Constancin,qui admirait la perfection du gouvernement chinois,écrivit plusieurs lettres qui contribuèrent à diffuser en Europe le mythe du despotisme éclairé.

« C’est pourquoi sans entrer dans le détail de nos souffrances,que vous ne pouvez ignorer,je ne vous entretiendrai que du nouvel empereur,qui depuis trois ans occupe le trône.Tout aliéné qu’il paraît être de la religion chrétienne,on ne peut s’empêcher de louer les qualités qui le rendent dignes de l’Empire,et qui en si peu de temps lui ont attiré le respect et l’amour de ses peuples.ce prince est infatigable dans le travail ;il pense nuit et jour à établir la forme d’un sage gouvernement,et à procurer le bonheur de ses sujets.On ne peut mieux lui faire sa cour,que de lui proposer quelque dessein qui tende à l’utilité publique et au soulagement des peuples. »Watch Full Movie Online Streaming Online and Download

Sous cet éclairage,le despote chinois connut en Europe un vif succès.Voltaire a lu attentivement ces lettres.

Une autre lettre du Père Parennin,missionnaire de la Compagnie de Jèsus,à M. Dortous de Mairan,de l’Académie Royale des Sciences.

« Un autre jour le discours tomba sur la manière dont les pierres se forment dans le sein de la terre ;ma réponse fut courte ;une plus longue eût été assez inutile,avec des gens qui n’écoutent la théorie que par complaisance et sans rien croire,et qui réduisent tout au témoignage des sens. « Ce sera à Pékin,où je vous ferai une pierre,sans me servir d’aucun corps dur ou solide :bien plus,je vous apprendrai à la faire,et vous serez maître en ce genre dès votre premier coup d’essai ;il ne vous en coûtera que de mêler deux sortes de liqueurs ensemble :vous verrez d’abord un bouillonnement, un combat de ces deux liquides,qui ne finira que par la destruction de l’un par l’autre,et il ne restera qu’une pierre blanche au fond du vase ». 

La première partie de la lettre illustre admirablement le but de la mission des jésuites : mettre la science au service de la foi ;prouver les merveilles de la religion par les miracles de la technique.

Les Lettrés en Chine occupaient la place que les Philosophes rêvaient d’occuper auprès des rois. Bref le mérite personnel l’emportait sur les privilèges de la naissance. Les jésuites excellents pédagogues, étaient mieux placés que personne pour apprécier le système chinois qui accordait la primauté aux Lettres et avait pour principal objectif la recherche des élites.