Laos – L’histoire mouvementée des statues Pavie

Auguste Pavie, explorateur, diplomate et écrivain, est honoré en plusieurs villes par des noms de rues, à Paris, Rennes et Dinan, d’un établissement scolaire à Guingamp, mais aussi par des statues à Dinan et à Vientiane au Laos. Au début des années trente, à Vientiane, un terrain faisant face au Mekong, plus tard occupé par les jardins de la piscine de l’hotel Lane Xang fut dégagé, aplani et transformé en place gazonnée, plantée de cocotiers et bordée de flamboyants. Elle fut dénommée Place Pavie. En son centre fut érigé en 1933 un monument à la mémoire d’Auguste Pavie.

Du au ciseau du sculpteur français Ducuing, réalisé en bronze dans le style « exposition coloniale », il se composait de deux éléments : la statue de Pavie proprement dite et le groupe de deux « offrants » composé d’un laotien et d’une laotienne en bronze. Un socle de pierre portait une plaque de marbre avec l’inscription « Auguste Pavie 1847-1925 ».

carte postale statue Pavie Laos

A partir de la seconde guerre mondiale, cette statue connut une vie assez mouvementée. Après le coup de force et la prise de pouvoir par les japonais en 1945, le monument fut démonté, la statue fut déposé et mis a l’écart sur la place Pavie, le socle en marbre fut détruit ou déplacé et les statues des « deux offrants » furent déplacé dans la cour du Vat Ho Phra Keo voisin.

A la reprise de la ville par les français, la statue de Pavie fut placée sur un petit socle de briques en bordure de la Place et y resta seize ans. La construction de l’hôtel Lane Xang entraina son transfert.

Apparemment, celui-ci fut d’abord envisagé vers un petit square aménagé à cet effet en bordure du boulevard Khoun Boulom, mais cet emplacement fut retenu par Electricité du Laos pour la construction d’un transformateur. La statue fut alors remise à l’ambassade de France, tandis que le groupe des deux offrants était définitivement installé au centre d’une pelouse à l’ouest du Vat Ho Phra Keo.

En 1972, l’Ambassadeur de France profita des travaux de réaménagement des bâtiments et jardins de l’ambassade pour installer la statue dans les jardins de la chancellerie en bordure de l’avenue Setthathirath, d’abord tournée vers la grande porte d’entrée, puis vers la rue. Elle y resta jusqu’en 1978.

Cette année-là les autorités lao exigèrent qu’elle fût remisée à l’intérieur même des locaux de l’ambassade pour éviter d’être vu par les passants.

Aujourd’hui cette statue se trouve à nouveau dans les jardins de la chancellerie mais tournée vers la porte du bâtiment de chancellerie. En effet le portail principal d’entrée a été déplacé vers une autre partie de la concession diplomatique, ce coin de jardin est maintenant entièrement fermé à la vue extérieure.

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Le groupe des deux offrants fut séparé de la statue Pavie après la prise de pouvoir communiste puis un temps relégué au Musée de la Révolution et apparemment admirés par les jeunes comme génies protecteurs des amoureux. Cet ensemble se trouve aujourd’hui dans les jardins du Musée d’art religieux du Vat Phra Kèo à côté du Palais Présidentiel et en face du Vat Sisakhet non loin de l’Ambassade de France.


Une seconde statue identique à celle de Vientiane fut érigée à Luang Prabang. Cette dernière fut soclée mais sans offrants et placée vers le versant Est du Phou Si sur une place au nom du Diplomate – Explorateur en face du Cercle Militaire Français.

Après la reconnaissance du Laos comme Etat souverain par les Nations Unis en 1955, la France maintînt une Mission Militaire dans le pays avec une antenne à Luang Prabang dont la résidence allait désormais abriter la statue Pavie, jusqu’à sa mystérieuse disparition peu avant l’occupation de la ville par les forces du Pathet-Lao.

C’est à Guy Lherbier, autrefois résidant de Luang Prabang et membre du Souvenir Français que nous devons l’éclairage inédit sur cette histoire méconnue et qui mérite que nous nous y attardions.

Voici tel quel et pour la première fois, la transcription du récit fait par l’Attaché Militaire Français à Luang Prabang en 1974-1975 dans une lettre manuscrite à un officier supérieur en 2000, tel que j’ai pu lire par moi-même sur une copie du document original :

« Vos interrogations sur les pérégrinations de la statue Pavie à Luang Prabang et les questions que vous me posez pour obtenir plus de détails sur les circonstances de sa triste fin m’amènent à élargir un peu plus le cadre dans lequel cette affaire s’est située, en vous brossant brièvement, si je le puis, un tableau de la situation des Européens dans cette ville, au cours des six derniers mois de 1975.

A côté d’une imposante minorité chinoise et vietnamienne ( plus de 2’000 ), vivaient, dans la capitale royale, une centaine de citoyens francais de souche : fonctionnaires et militaires, enseignants ou jeunes cooperants ou métis franco-laotiens bien implantés.

Une collectivité U.S., militaires ou fonctionnaires de la C.I.A. assez fournie (avec leurs familles)

Une mission humanitaire suisse (une douzaine de personnes)

Une mission catholique (une évéque et une douzaine de prêtres, tous italiens) très en contact avec les Mois

La raison d’être des missions consistait à collaborer et à aider le gouvernement royal Lao. Les minorités asiatiques occupaient des positions enviables surtout dans le commerce et paraissaient bien intégrées.

Cependant, bien avant d’être occupée militairement par les Pathet-Laos, il était perceptible que Luang Prabang baignait dans une atmosphère trouble. Les troupes communistes stationnaient non loin de la ville et à l’interieur, de nombreux agents Pathet étaient aux aguets et travaillaient en sous-main les fonctionnaires et les milieu étudiants. Les dirigeants communistes étaient au courant de tout et je n’avais pu en avoir meilleure preuve que la presence du Prince Souphanouvong à la table de son demi-frère le Prince Souvannah Phouma, le Premier Ministre (féru de bridge), à chaque fois que mon épouse et moi furent conviés chez ce dernier (s’entend dans les six premier mois de 1975).

En juillet 1975, la déroute sud-vietnamienne et de ses alliés U.S. ne faisait plus aucun doute et c’est dans ce contexte que la cellule americaine de Luang Prabang s’appréta à déguerpir. Dès lors tous les regards des collectivites étrangères, y compris des minorités asiatiques et aussi de nombreux laotiens se tournèrent vers la Mission Militaire Francaise. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’était pas le moment de céder à la panique,  mais bien plutôt de faire preuve d’assez de lucidité et de sang-froid pour limiter les effets de débordements de manifestants manipulés par un parti triomphant et avide de revanche dont nos ressortissants auraient eu à faire les frais.

Début août, quelques manifestations estudiantines eurent lieu devant la Mission et la statue de Pavie fut conspuée. Peu après, un groupe d’officiers Pathet, qui avant même l’occupation de la ville, commencaient à se montrer, pénétra, sans y être invitée, dans l’enceinte de la Mission et entoura la statue de Pavie, qu’ils regardèrent en silence. Le groupe se retira lorsqu’on me vit sortir de la résidence pour me diriger vers eux. Tout cela montrait clairement que cette statue, symbole à leurs yeux, du colonialisme haï, risquait bientôt de servir de pierre d’échoppement dans nos relations avec le Pathet-Laos et de devenir, à brève échéance, une source d’ennuis lorsqu’ils deviendraient les maîtres de la ville.

J’en rendis compte à mes autorités à Vientiane de manière informelle (probablement par lettre à l’E.M. à moins que ça soit au cours d’un entretien avec un émissaire ; il ne me semble pas que ce fut par radio).  Peu après, Vientiane (toutes autorités confondue) me fit savoir que la statue de Pavie devait disparaître. J’avais toute lattitudes quant aux modalités et il ne fut jamais question d’en rendre compte. J’assume donc entièrement les détails de l’opération que je vous ai decrits dans ma lettre précédente et qui me semblèrent les plus appropriés.

Ce qui se passa par la suite à Luang Prabang montra que la disparition de cette statue désarma en grande partie les marques d’hostilité Pathet à notre egard. Je vous en laisse juge :

Après la déconfiture U.S. à Saïgon les Américains de Luang Prabang partirent en catastrophe. Le jour suivant, ce fut le sac de leur légation par une foule vociférante.

Dès la semaine qui suivit, la mission helvétique fut déclarée ‘persona non-grata’ et dut, sans tarder, évacuer les lieux. Elle était soupconnée d’avoir voulu accoutumer la population à des produits ‘capitalistes’ (Nestlé, Unilever, pharmacie etc…)

Quelques jours plus tard les prêtres italiens, accusés de collusion avec la population, moi (qu’ils évangélisaient) qui avait certes partie liée aux U.S., étaient expulsés sans autre forme de procès.

Dans le même temps, nous avions à affronter toujours des manifestations (devant la mission, devant ma propre résidence). Au cours de l’une d’elles, les étudiants dévisserent les plaques de la mission. Motif : Un arc-en-ciel tricolore surmontait l’emblême Lao. J’eu le plus grand mal à les récupérer.

Il fallut aussi réconforter puis faire sortir de prison quelques notables franco-laotiens bien compromis avec l’ordre ancien.

Chercher le contact avec les autorités qui se dérobaient sournoisement.

Assister de loin à la décomposition de l’ordre ancien : déportation des officiers, généraux en tête.

Observer la main mise Pathet sur la ville ; méthodique et efficace car les communistes étaient depuis longtemps renseignés.

Planifier au jour le jour le plan d’évacuation de nos ressortissants.

Brûler discrètement mais méthodiquement nos archives.

Gérer et administrer, comme s’il ne se passait rien, la Mission.

Diligenter une enquête de vol de petit matériel dans les locaux de la mission qui aboutit à la découverte du coupable : Le plus jeune et le plus récent employé de la mission.

Marquer notre intérêt discret à la communautée catholique.

Se maintenir en liaison radio (quotidiennement) puis courrier (épisodiquement) avec les autorités de Vientiane qui malgré les soubresauts plus aigues qui agitaient la capitale politique, nous témoignèrent toujours un appui et une sollicitude sans failles.

Cela nous amène au debut 1976. Le transfert des locaux, le départ à l’avion s’effectuèrent sans heurts. Les jeunes coopérants restèrent sur place et ne furent jamais inquiétés.

Je crois, mon General, dans cette situation, avoir repondu à toutes vos questions. Je ne suis resté qu’un an au Laos et ce n’était pas la bonne année. Je ne puis donc rien vous apprendre sur les antécédants de la statue (question 1). Pour ce qui est des questions 2, 3, 4 il n’existe rien de plus que ce que je vous ai révélé.

Je vous laisse le soin de dire aux éventuels détracteurs qui poserainet des questions incongrues à ce sujet que, par la disparition de sa statue, Pavie à continué à jouer un rôle bénéfique et tutélaire en préservant la communautée française de toute violence, en prolongeant notre influence dans le pays pour le maintien de nos coopérants et en nous permettant de nous retirer sans dommage, à notre heure, la tête haute.

Veuillez, mon Général, agréer l’expression de mes sentiments respectueux.

P.S.

Je joins à cette lettre quatres photos représentant la MMF en 1974-1975. Dans les deux premieres l’on observe la statue de Pavie tournant le dos à la grand route et face à l’entrée de la Mission (« Il rentrait à la maison » aurait dit mon prédécesseur ). Cette Route no.13 qui bordait la MMF était celle de Vientiane par où sont rentrées les troupes du Pathet Lao qui ont occupé la ville. L’on peut aussi constater que l’enceinte maçonnée à claire-voie était tout a fait symbolique et ne cachait rien de l’activité de la mission.

Sur la troisieme photo, trône Pavie, en majeste, il était évidemment très visible de l’extérieur.

Sur la photo no. 4, l’on voit très nettement sur les bornes qui soutiennent le portail d’entrée, les plaques de la MMF et de la légation consulaire qui y étaient apposées. Ce furent celles-ci q1ui furent enlevées par des manifestants puis récuperées. J’ai en ma possession ces deux plaques et le drapeau francais de la mission (voir la photo no.1, flottant sur la mât à côté du drapeau Lao). Je joins également un plan (ancien) de la ville où j’ai rajouté l’emplacement assez exact de la MMF et de ma résidence.

Dans cette lettre, dont je ne connais pas le nom de l’auteur ni du destinataire, il est fait mention d’un « courrier précédent » que je n’ai pas pu obtenir pour des raisons de confidentialité. On m’a fait comprendre que la responsable de la Mission Militaire Francaise aurait decidé de faire disparaitre la statue dans le Mekong…


Guy Lherbier soucieux de voir se perpétuer la mémoire d’Auguste Pavie à Luang Prabang a pris l’initiative de reproduire à l’identique la statue de Pavie en béton armée et qui fut installée dans le jardin attenant sa maison à Luang Prabang.

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Photo de la statue Pavie dans le jardin de la residence de G. Lherbier à Luang Prabang. Photo prise par l’auteur en 2007

Depuis fin 2008, G. Lherbier a placé la statue sur le « site Mouhot » non loin de Luang Prabang.

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Statue Pavie sur le site Mouhot à Luang Prabang. Photo avec l’auteur en 2009.

CRJ / SFCN / 11/2009 mise à jour 8/2023